Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). François Foret propose une analyse de l’ouvrage de Nathalie Brack et Olivier Costa (dir.), Euroscepticism within the EU Institutions: Diverging Views of Europe (Londres, Routledge, 2012, 136 pages).

Les acteurs peuplant les institutions supranationales sont communément vus comme partageant une même foi en l’intégration européenne, dont découleraient des stratégies visant systématiquement au renforcement de l’Union européenne (UE) comme ordre politique. L’ouvrage questionne ce postulat, en mettant en exergue l’existence de forces eurosceptiques dans les arènes bruxelloises. Les élites politiques européennes sont ainsi partagées entre des visions divergentes du devenir de l’intégration européenne, visions découlant elles-mêmes de différences d’idéologies, de cultures nationales, d’intérêts et de rapports de pouvoir personnels ou institutionnels.
Il s’agit dès lors, comme l’énoncent Nathalie Brack et Olivier Costa dans leur introduction, de comprendre l’étendue de cette fragmentation, ainsi que ses conséquences multiples et contradictoires sur le devenir de l’UE. L’émergence d’oppositions dans des institutions fondées sur le compromis et le consensus fait courir le risque de blocages. Les contributions composant l’ouvrage montrent comment chaque organisation (Commission, Parlement, Conseil, Cour de justice) autorise le dissensus mais développe aussi des mécanismes, formels ou informels, pour l’encadrer et en limiter les effets. Une autre interprétation suggère que l’espace donné à la critique dans le processus décisionnel européen accentue sa représentativité, en reflétant les contestations à l’œuvre dans le corps social. Dès lors, les voix eurosceptiques qui se font entendre au sommet de l’UE concourent paradoxalement à renforcer sa légitimité.
Les auteurs utilisent des méthodes et des sources propres à chaque terrain : large enquête d’attitudes sur les fonctionnaires de la Commission (Dehousse et Thompson) ; analyse multivariée des présidences tournantes « eurosceptiques » (Leconte) ; entretiens qualitatifs et observation sur les députés européens (Brack) ; modélisation des discours des élites nationales sur l’UE (Schmidt) ; étude juridique (Naômé). En ressortent quelques constantes, mises en lumière par Diez Medrano dans un chapitre conclusif. Le cadre institutionnel européen a une influence notable sur la forme et l’impact des discours eurosceptiques, preuve d’une réelle capacité de socialisation de l’UE. Pour autant, les matrices nationales restent structurantes dans la relation à l’Europe des acteurs et les manières de l’exprimer, tout en évoluant à la faveur de crises (exemple des réticences allemandes croissantes envers une solidarité européenne inconditionnelle après la réunification). Il ressort aussi de ces études de cas qu’un véritable répertoire discursif européen est en gestation. Les interactions transnationales, dans et hors les institutions, favorisent la circulation de manières de dire son adhésion au projet européen, mais aussi de le contester, moins dans sa totalité que dans le détail de ses politiques. Au final, le volume apporte une contribution utile et originale au débat toujours controversé sur la notion même d’euroscepticisme. Il alimente aussi la discussion sur la « normalisation » de l’UE comme système politique, notamment sur la capacité de cette dernière à contenir et organiser le conflit en son sein.

François Foret

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