La rédaction a le plaisir de vous offrir un second article du numéro de printemps 2016 de Politique étrangère : « Que vaut l’armée russe ? », par Isabelle Facon.

Couv PE1-2016_plat I_Page_1« Peu de temps avant sa confirmation par le Sénat comme président du Joint Chief of Staff, le général Dunford a déclaré que la Russie constitue une « menace existentielle » pour les États-Unis. La nouvelle stratégie de l’US European Command, publiée en janvier 2016, fait de la « dissuasion de l’agression russe » la première de ses priorités. Les superlatifs sont devenus monnaie courante pour décrire les forces armées russes 2.0, et la récente propension de Moscou à recourir à ses outils militaires à l’extérieur de ses frontières (Géorgie, Ukraine, Syrie) a provoqué en Occident la publication d’articles déplorant que l’ampleur de la modernisation militaire russe ait été sous-estimée.

L’attention portée dans les capitales occidentales à cette problématique se nourrit de la multiplication des redéploiements de forces et des exercices (souvent d’ampleur) que la Russie réalise dans la partie ouest de son territoire, ainsi que des manœuvres de son aviation à proximité de l’espace aérien d’États membres de l’OTAN – quand il ne s’agit pas de violations pures et simples. En outre, tandis que le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, annonçait pour 2016 la formation de trois nouvelles divisions à l’ouest du pays, certaines dimensions de l’intervention russe en Syrie révélaient aux décideurs occidentaux que leurs forces pourraient à l’avenir ne plus avoir les coudées aussi franches dans la conduite d’opérations sur lesquelles les intérêts de la Russie ne convergeraient pas avec les leurs.

Moscou, de son côté, envoie des signaux contradictoires quant à la place des outils militaires dans la politique nationale. Le président Poutine s’est dit, à différentes reprises, conscient du danger qu’il y aurait à engager le pays dans une nouvelle course aux armements. Dans le même temps, alors que la situation économique se dégrade depuis plusieurs années, la part des dépenses consacrées à la Défense ne cesse d’augmenter – passant de 12,5 % du budget de l’État en 2010 à 19,7 % en 2015 (et de 2,84 % du PIB en 2010 à 4 % en 2014). Cela signifie-t-il que la Russie en revient au choix de la « puissance pauvre », pour reprendre les termes de l’historien Georges Sokoloff expliquant comment, historiquement, les autorités russes ont privilégié la puissance militaire au détriment du développement économique et social, ce qui justifierait l’emphase des responsables américains sur la « menace russe » et l’ajustement en cours de la posture stratégique de l’OTAN en fonction de cette menace ?

Dans un contexte propice à des évaluations biaisées, du fait de la profonde détérioration des relations Russie-Occident et de l’affaiblissement de leurs contacts militaires, il faut dresser un bilan aussi dépassionné que possible de la situation de la défense russe dans ses différents aspects – de l’organisation au recrutement en passant par l’équipement et les structures.

En quête d’efficacité : rationalisation des structures et valorisation de l’expérience

« Les campagnes russes en Ukraine et en Syrie ont une chose en commun : une organisation militaire formidable », souligne un observateur européen. Il est difficile de nier que les opérations des forces russes en Crimée et, surtout, en Syrie, ont tranché, sur le plan organisationnel, avec les déboires rencontrés lors d’expériences précédentes (Tchétchénie et, dans une autre mesure, Géorgie). La réforme militaire engagée en 2008 pour donner une « nouvelle physionomie » aux forces armées russes visait principalement à les rendre plus aptes à faire face aux contingences opérationnelles auxquelles elles pourraient être le plus sûrement et immédiatement confrontées – tout en répondant à la priorité stratégique du pays, qui est d’être en capacité de sanctuariser et de sécuriser le « glacis ». Il s’agit de scénarios de crises ou de conflits dans le voisinage, voire sur le territoire de la Fédération, imposant de disposer d’une armée plus mobile et réactive. Motivée par les leçons de ses engagements en Afghanistan, en Tchétchénie et en Géorgie, l’armée de Terre a réorganisé ses 23 divisions, dont seul l’encadrement-officier était immédiatement disponible, et qui devaient être complétées par la mobilisation des réservistes en cas de besoin, en une quarantaine de brigades opérationnelles. Comme l’ont montré les opérations en Crimée et en Syrie, de même que les rotations de forces à la frontière russo-ukrainienne, la logistique et l’approvisionnement des troupes « suivent » bien mieux que dans le passé. […] »

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