Suite à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Politique étrangère vous propose de lire en avant-première l’une des recensions de son prochain numéro (n°4/2016) à paraître début décembre, et qui fait l’analyse des ouvrages de Marie-Cécile Naves, Trump, l’onde de choc populiste (FYP Éditions, 2016) et de Laure Mandeville, Qui est vraiment Donald Trump ? (Éditions des Équateurs, 2016).

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Marie-Cécile Naves et Laure Mandeville tentent d’éclairer le phénomène Donald Trump. Après la stupeur provoquée en mai 2016 par l’investiture du milliardaire new-yorkais comme candidat républicain à l’élection présidentielle de novembre, elles reviennent sur l’un des épisodes les plus étonnants de l’histoire politique récente des Etats-Unis.

Médiatique, rendu célèbre par ses grands projets immobiliers, Trump n’est pourtant pas rompu aux règles du débat politique. Peu porté sur la bienséance et délesté de toute ligne idéologique claire, il se démarque clairement de l’establishment républicain, apparaissant début 2016 comme un outsider inconséquent face aux favoris Jeb Bush, Ted Cruz et Marco Rubio. Mais contre toute attente, the Donald évince un à un ses concurrents. À partir d’analyses assez similaires, les deux auteurs montrent que ce succès était, à certains égards, prévisible.

Ils évoquent d’abord la révolte qu’incarne Trump : ses opinions iconoclastes sur l’immigration, le libre-échange, l’interventionnisme américain et l’OTAN renforcent sa popularité. Elles le rapprochent des populistes européens comme Marine Le Pen, mentionnée à plusieurs reprises, mais aussi, selon Mandeville, de la révolte « jacksonnienne », mouvement « culturel et économique », porté par une classe moyenne blanche lasse des oppositions partisanes traditionnelles et méfiantes vis-à-vis des élites financières et du libre-échange. Naves pointe un lien d’affiliation avec le Tea Party, dont Trump aurait largement repris les penchants jacksoniens.

Les deux livres soulignent aussi la singularité du personnage, insaisissable et imprévisible, ainsi que le mythe qu’il a construit autour de son nom. Mandeville invoque par exemple un destin exceptionnel (jeunesse, famille, succès médiatique). Mais ce qui marque encore plus les auteurs, c’est la capacité de Trump à adapter son discours aux circonstances : l’un pointe son « populisme à géométrie variable » (Naves), l’autre le qualifie de « pragmatique opportuniste » (Mandeville).

D’un point de vue sociologique, il faut voir dans le succès de Trump la mobilisation de la working class blanche inquiète pour son avenir, sa situation sociale et son identité fantasmée. C’est l’Amérique oubliée par les élites républicaines et démocrates, oubliées aussi de la mondialisation et de la reprise économique post-crise de 2008.

Les deux ouvrages refusent cependant d’aborder l’hypothèse d’un « fascisme trumpien ». Naves l’effleure tandis que Mandeville la balaye d’un revers de main. Certes, l’absence de corpus idéologique précis empêche de définir catégoriquement Trump comme fasciste ; tout comme son absence d’expérience politique rend bancal tout jugement a priori. Pourtant, les similitudes observées avec les droites populistes européennes poussent à poser plus sérieusement la question. Certes, l’« homme nouveau » et la révolution de la société en faveur d’un accomplissement idéologique n’apparaissent pas dans la doctrine trumpienne ; mais le candidat frôle sans crainte ces piliers principiels du fascisme : pas d’homme nouveau mais un Américain idéal, mâle, blanc, anglophone, chrétien ; pas de table rase, mais une destruction du système politique bipartisan et une contestation profonde du statu quo. En outre, le discours du candidat républicain et les expériences fascistes du XXe siècle convergent dans l’expression d’un nationalisme incantatoire, protectionnisme et racial. Enfin, comme le rappelle avec virulence Robert Kagan, la réminiscence du fascisme s’incarne dans la figure de l’homme fort prônée par le milliardaire : sûr de lui, viril et narcissique, il tient entre ses mains la destinée de la nation.

Brice Zanette

Découvrez également la contribution de Laurence Nardon, « À quoi ressemblerait une présidence Trump ? », publiée dans le RAMSES 2017. Un monde de ruptures (Dunod/Ifri, septembre 2016), ainsi que la mini-interview correspondante en cliquant ici.

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