Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère
(n° 4/2018)
. Jean-Christophe Noël, chercheur associé au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Eli Berman, Joseph H. Felter et Jacob N. Shapiro, Small Wars, Big Data: The Information Revolution in Modern Conflict (Princeton University Press, 2018, 408 pages).

Ce livre tente de tirer des leçons pratiques et opérationnelles des dernières opérations de contre-insurrection, principalement menées par les forces armées américaines. À cet effet, les auteurs rappellent d’abord l’importance des « petites guerres » de nos jours, et leurs spécificités. Ils présentent ensuite leur méthode, qui peut se résumer rapidement par l’exploitation d’un volume toujours plus important de micro-données locales pour tester certaines hypothèses à l’aide des sciences sociales ou des outils statistiques.

Trois types d’acteurs sont impliqués dans ce type de conflit, à savoir le soldat, le rebelle et le civil. Ce dernier tient une position stratégique, puisqu’il détient des informations essentielles en observant comment les deux camps rivaux agissent dans son environnement proche. En aménageant des conditions favorables pour que les civils fournissent spontanément des tuyaux (tips), le gouvernement peut s’assurer un avantage comparatif.

Pour consolider cette relation de confiance, et ce que les auteurs appellent l’approche centrée sur l’information (information-centric approach), différentes problématiques sont explorées. Le livre montre notamment que le développement de la téléphonie mobile favorise la circulation des informations, souvent anonymes, vers les représentants institutionnels. Dans le domaine de l’aide au développement, les projets locaux les plus modestes, les moins risqués, pour lesquels la population a été bien informée et qui ont un impact immédiat, offrent les retombées les plus positives. Il est cependant nécessaire que la force militaire assure la protection des agents et des installations. Aide et protection sont donc indispensables et complémentaires. En revanche, les projets très importants, nécessitant de gros investissements, nourrissent la corruption et sont plus difficilement achevés. Ils suscitent de la déception.

Enfin, la population civile a tendance à fuir le camp le plus brutal à son égard. La violence locale décroît quand des rebelles ont causé des pertes civiles (l’installation du gouvernement est soutenue), et elle augmente quand les troupes gouvernementales ont causé des dommages collatéraux (le retour des rebelles n’est pas contrarié).

Ces leçons sont essentiellement valides au niveau local. Les auteurs conviennent qu’elles sont insuffisantes pour contrôler un pays, tout en notant qu’elles peuvent aussi offrir de belles opportunités. Ils ajoutent que ce qui se vérifie parfois dans un environnement urbain peut être contredit dans un environnement champêtre ou montagneux.

L’impression générale laissée par ce livre très documenté, très riche, mais parfois un peu trop didactique, est qu’il n’apprendra que peu de choses aux experts de la contre-insurrection. Mais il mérite d’être lu et commenté par tous, car les auteurs démontrent soigneusement leurs thèses, et leurs implications ne sont pas neutres. Faut-il développer les réseaux de téléphone mobile, même s’ils servent aussi à déclencher les engins explosifs improvisés ? Les appuis-feux doivent-ils être très contrôlés pour limiter les dommages collatéraux, quitte à subir plus de pertes dans les engagements ? Quels sont les atouts et les limites d’une approche bottom-up ? Autant de questions très sensibles, auxquelles ce livre offre des éléments de réponse essentiels.

Jean-Christophe Noël

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