Fondateur de l’ENI – qui a largement contribué à combattre l’oligopole des sept majors du pétrole –, Enrico Mattei a œuvré à une répartition des profits plus favorable aux Etats producteurs qu’aux compagnies pétrolières. Dans cet article, publié dans Politique étrangère no 5/1957 juste après la crise de Suez, il insiste sur le rôle fondamental du Moyen-Orient dans l’approvisionnement de l’Europe en pétrole – donc dans sa compétitivité – et sur la nécessité de redéfinir les rapports entre pays producteurs et firmes concessionnaires. Il explique en particulier que l’ENI et la National Iranian Oil Company ont conclu, au-delà d’un simple contrat d’exploitation, un véritable accord d’association servant leurs intérêts mutuels – le souvenir de la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company en 1951 est alors encore récent. Une relecture utile au moment où les besoins énergétiques des puissances émergentes connaissent une forte croissance.

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Le problème énergétique italien

La principale cause du développement limité de l’industrie italienne durant le siècle dernier, a été le manque de charbon et de minerais de fer. A l’heure actuelle notre pays en ressent encore les effets malgré les changements survenus dans les domaines de la technique et de l’économie. Dans l’Italie du Nord, le manque de charbon a été compensé en partie par l’existence de ressources hydro-électriques considérables, mais déjà presque entièrement exploitées.

Cette situation de fait est à l’origine de la grande importance des hydrocarbures dans le bilan italien de l’énergie. Les premières recherches d’hydrocarbures eurent lieu en Italie dès la fin du siècle dernier. Mais l’on n’y consacrait que de faibles moyens, si bien que les initiatives prises finirent par s’enliser. L’Etat intervint entre 1911 et 1925 au moyen d’appuis financiers et de facilités qui n’eurent pas néanmoins l’efficacité voulue, jusqu’à ce qu’en 1926, une fois constatée l’insuffisance de l’initiative privée, il décida la constitution de l’Azienda Generale Italiana Petroli (AGIP).

Durant les années suivantes, l’AGIP conçut, et réalisa un plan bien ordonné de recherches sur tout le territoire national, alors que les particuliers concentraient surtout leurs efforts dans l’exploitation à des profondeurs limitées des gisements de méthane découverts dans le Polesine. Après une série de découvertes d’intérêt mineur, l’AGIP put vérifier pleinement, en mars 1946, la grande importance du gisement de Caviaga. D’autres découvertes se succédèrent à un rythme rapide, ouvrant les perspectives les plus brillantes à la production d’hydrocarbures dans la vallée du Pô. On se trouva placé devant un choix : laisser aux compagnies privées, dont l’intérêt s’était éveillé après le succès de l’AGIP, l’exploitation des ressources en hydrocarbures de la plaine du Pô, ou réserver cette activité à l’Etat qui, à travers sa propre entre prise, avait mené à bonne fin les recherches dans cette zone.

Le législateur adopta la seconde solution, en attribuant à l’ENI, organisme de droit public, l’exclusivité dans la vallée du Pô de la recherche et de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures, ainsi que de la construction et de l’exploitation des pipe-lines pour leur transport.

 

La contribution de l’ENI

Les résultats obtenus au cours des années suivantes confirmèrent pleinement la sagesse de cette décision. La production de gaz naturel, qui était de 17 millions de mètres cubes en 1938 et de 64 millions en 1946, s’éleva à 4.465 millions en 1956, dont 4.159 fournis par l’ENI. On prévoit que dans l’année en cours, elle atteindra 5.000 millions de mètres cubes, dont 4.700 produits par l’ENI.

L’apport en pourcentage du méthane au bilan italien de l’énergie— ainsi qu’il ressort du tableau statistique qui figure en annexe — est passé de 0,6 % en 1948 à 13 % en 1956, résultat d’autant plus appréciable que la consommation d’énergie a plus que doublé entre-temps.

La production nationale de pétrole brut, quoique loin de satisfaire les besoins italiens, est elle aussi, en continuel développement. Après la découverte du gisement de Cortemaggiore par l’AGIP en 1948, d’autres découvertes de pétrole ont été faites au cours de ces dernières années dans les Abruzzes et en Sicile, tant par des entreprises privées, que par l’ENI. La dernière en date est celle du gisement de Gela par l’ENI : le premier puits donne 200 tonnes par jour de pétrole brut, deux autres puits sont presque terminés et 5 en cours de forage.

Malgré les progrès accomplis dans le développement des res sources italiennes en matière d’énergie, la couverture totale des besoins dépend, en attendant que l’énergie nucléaire puisse être utilisée, de l’importation d’hydrocarbures.

L’organisme que j’ai l’honneur de présider a en programme, pour les années à venir, une activité intense pour le développement de l’énergie nucléaire, ainsi que pour les recherches d’hydrocarbures à l’étranger. J’estime qu’il est nécessaire d’illustrer ici brièvement les résultats que nous avons déjà obtenus à l’étranger.

En Egypte, la production dans les gisements d’El Belayim et d’Abu Rudeis, atteint un million de tonnes par an, et continue de s’accroître. On prévoit pour 1958 une production de deux millions de tonnes et de trois millions en 1959.

Depuis le mois de juillet de cette année, des chargements de pétrole extrait par l’ENI en Egypte ont commencé a affluer dans les ports italiens à une cadence d’environ 60.000 tonnes par mois qui passeront en 1958 à 100.000-120.000 tonnes ; dans très peu de temps, donc, cette source constituera une contribution importante à la couverture des besoins pétroliers de l’Italie.

Des possibilités encore plus étendues sont offertes par l’accord réalisé par l’ENI avec la Société Nationale iranienne du pétrole (NIOC) dont je parlerai plus loin d’une manière plus détaillée, et qui permettra à l’Italie d’effectuer des recherches pétrolières dans 3 zones intéressantes couvrant au total une superficie d’en viron 23.000 kilomètres carrés. Des initiatives analogues seront entreprises également dans d’autres Etats et d’autres territoires, si la possibilité nous en est offerte et si nous les estimons susceptibles de développements intéressants.

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