Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012), dont le premier dossier est consacré à « Internet, outil de puissance ». Marc Hecker, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Wael Ghonim, Révolution 2.0 (Paris, Steinkis, 2012, 384 pages).

Révolution 2.0 devrait contribuer à mettre un terme aux controverses sur le rôle des médias sociaux lors des soulèvements arabes en montrant que, comme souvent, la vérité se trouve dans la nuance. Wael Ghonim est un spécialiste d’Internet : dans sa jeunesse, il a créé l’un des premiers portails Web dédié à l’islam avant de faire des études d’informatique, puis de se faire embaucher par Google. Sa vie bascule en juin 2010 lorsqu’il découvre sur le Web le visage ensanglanté de Khaled Saïd, un jeune homme battu à mort par deux policiers.
Les violations des Droits de l’homme sont monnaie courante dans l’Égypte de Hosni Moubarak et les affaires de ce type sont généralement étouffées. Wael Ghonim décide de faire bouger les choses et de créer anonymement une page sur Facebook en hommage à Khaled Saïd.
Les internautes affluent rapidement : en une heure, ils sont déjà 3 000 à avoir rejoint la page « Kullena Khaled Saïd ». C’est sur cette page que sont lancés les premiers appels à manifester pour demander justice pour Khaled Saïd. Plusieurs protestations silencieuses sont ainsi organisées dans différentes villes d’Égypte. Face à l’ampleur de la contestation, le régime finit par lâcher du lest : les deux policiers responsables du meurtre sont arrêtés.
L’éviction du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali amène Wael Ghonim à penser que les dictateurs ne sont pas indétrônables et le pousse à intensifier son militantisme en ligne. Au début de l’année 2011, la page « Kullena Khaled Saïd » compte 300 000 membres. Un appel à manifester pour le 25 janvier – date à laquelle est célébrée la journée de la police – y est lancé. Les principaux Web activists comprennent que le passage du virtuel au réel n’est pas chose aisée et que l’organisation d’une manifestation de masse ne peut reposer seulement sur Facebook. Ils prennent alors contact avec l’opposition politique organisée, avec les clubs de supporters des principales équipes de football et avec des imams, pour toucher un public qui n’utilise pas Internet. La tactique s’avère payante : la manifestation du 25 janvier est un succès et marque le vrai début de la révolution égyptienne.
Les autorités réalisent tardivement l’importance des réseaux sociaux et tentent de bloquer l’accès à Internet. Elles organisent aussi des contre-manifestations. Rien n’y fait : les opposants au régime tiennent bon et continuent d’exiger la démission de H. Moubarak. Wael Ghonim, de son côté, ne participe pas aux manifestations : le 27 janvier, il est arrêté par la police, soupçonné de travailler pour une « puissance étrangère » et accusé de trahison. Il ne sort de sa cellule que 11 jours plus tard, alors que le régime vacille. Pendant sa détention, sa qualité d’administrateur de la page « Kullena Khaled Saïd » a été révélée au public, si bien qu’il est accueilli comme un héros sur la place Al-Tahrir. Il est invité à s’entretenir avec le nouveau ministre de l’Intérieur de H. Moubarak, puis avec le Premier ministre. Il refuse de transiger : le départ du raïs n’est pas négociable. Quelques heures plus tard, le président égyptien annonce sa démission. La révolution 2.0 a eu raison du « pharaon ».

Marc Hecker

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