Lakhdar Brahimi, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, a notamment été représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afghanistan. Le 17 août 2012, il a succédé à Kofi Annan comme médiateur international dans la crise syrienne. Nous vous proposons de relire l’article intitulé « L’ONU survivra-t-elle en 2034? » que Lakhdar Brahimi a publié dans Politique étrangère en 2006.

Depuis sa création, l’Organisation des Nations unies (ONU) a reflété les dynamiques du système international qui l’entourait. Son statut en 2034 sera donc probablement déterminé par les réalités d’alors : les Nations unies seront ce que leurs membres voudront qu’elles soient. Les relations internationales sont et continueront à être fortement influencées par les grandes puissances : l’ONU évoluera donc d’abord dans les voies sur lesquelles s’accorderont les grandes puissances.
Qui appartiendra au club des grandes puissances en 2034 ? Aujourd’hui ce statut dépend – en grande partie, mais pas exclusivement – de la qualité de membre permanent du Conseil de sécurité. L’Union européenne (UE), par exemple, accédera-t-elle au statut de grande puissance ? Rejoindra-t-elle le club aux côtés de la France et du Royaume-Uni (ou de l’Allemagne ?) ou les remplacera-t-elle ? On admettait, à la fin de la guerre froide, que l’Inde, le Japon et quelques autres deviendraient membres permanents sous deux ou trois ans. Quinze ans après, on ne sait plus quand, ou si, les négociations prolongées sur la réforme du Conseil de sécurité aboutiront… La question suivante est celle-ci : qui, parmi les membres permanents, se qualifiera pour le statut toujours plus exclusif de « superpuissance » et rejoindra les États-Unis au sommet de la pyramide ?
Les Nations unies de 2034 prennent forme ici et maintenant. Dans un futur proche, les États-Unis d’Amérique resteront la seule super- (ou hyper-) puissance, un pays qui a joué un rôle déterminant dans la création de l’ONU et qui ne cache pas sa détermination à imposer sa propre vision sur le futur de l’Organisation. Il est fort difficile de déconnecter le destin des Nations unies du principal phénomène politique de notre époque : l’émergence des États-Unis comme unique superpuissance et leurs tentatives de redéfinir le droit international à leurs propres conditions.
Durant une bonne partie des soixante ans d’existence de l’ONU, les États-Unis ont poussé l’Organisation vers l’avant, l’ont aidée à développer les règles de droit international proposant normes et standards à tous les États et tous les peuples. À d’autres moments cependant, ils ont fait régresser l’organisation internationale, en la mettant au service de leur propre intérêt national, ou en la marginalisant. Les récents choix aventurés des États-Unis, et précisément l’invasion de l’Irak, alimentés par l’idéologie néoconservatrice, risquent de renvoyer le monde au XIXe siècle, avant le développement d’un ordre juridique international tourné vers les droits de l’homme et la justice.
Les États-Unis ont ici agi en ignorant leurs obligations internationales, ou en choisissant celles qui leur convenaient et celles qu’ils rejetaient, une stratégie profondément déstabilisante pour le reste du monde. Celle-ci peut satisfaire quelques idéologues, ou même se montrer efficace à court terme, mais de plus en plus d’Américains craignent qu’elle ne desserve leurs intérêts de long terme. Le droit international doit certes évoluer face aux nouvelles menaces et aux nouveaux défis, mais par consensus – non par une action unilatérale.
Pour l’heure, la position des États-Unis sur l’ONU et le droit international affaiblit l’Organisation, et le reste du monde échoue à résister à cet état de fait. Que cette tendance se poursuive ou qu’elle s’inverse, une grande partie du destin, et de la chance de survie, de l’Organisation internationale en dépend.

Lakhdar Brahimi

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