Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Samuel Ghiles-Meilhac propose une analyse de l’ouvrage d’Itamar Rabinovich, The Lingering Conflict: Israel, the Arabs, and the Middle East 1948-2011 (Washington, DC, Brookings Institution Press, 2011, 340 pages).

Encore un livre d’un diplomate plein de dépit sur le blocage des différents aspects des conflits israélo-arabes ? Fort heureusement, Itamar Rabinovich évite l’écueil et offre une perspective plus stimulante qu’un condensé de souvenirs subjectifs sur l’échec de tel ou tel sommet supposé décisif. Fin connaisseur de l’histoire politique de la Syrie, diplomate et universitaire israélien, l’auteur porte un regard dépassionné et précis sur la région. Il s’attache surtout à analyser la perception que chaque société impliquée a de ce que peut signifier un accord de paix, bilatéral comme global. Là réside l’aspect le plus intéressant d’un livre qui invite à comprendre la psyché des dirigeants israéliens et surtout se penche sur les débats au sein des sociétés arabes, notamment en Syrie et en Égypte, à propos de l’attitude à adopter vis-à-vis d’Israël.
I. Rabinovich revient utilement sur l’amertume d’une partie du monde arabe au moment de la signature des accords d’Oslo de 1993 entre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le gouvernement israélien. Un poète syrien en exil présentait alors l’autonomie limitée concédée par Israël aux Palestiniens comme un cadeau empoisonné, où la bande de Gaza – une « conserve de sardines » – et l’enclave de Jéricho – un « os sec » – figuraient la dot amère d’un mariage forcé dont les États-Unis étaient les grands bénéficiaires.
Le dernier chapitre, « Paix et normalisation », se place du point de vue arabe pour mettre en relief la différence, essentielle, entre la fin d’un état de belligérance, un accord de paix, et enfin une normalisation, économique et culturelle, des relations entre le monde arabe et Israël. À ce sujet, le lyrisme futuriste de certains discours de Shimon Pérès en faveur d’un nouveau Moyen-Orient unifié par la globalisation paraît très décalé au regard des inquiétudes de dirigeants arabes – notamment syriens –, qui voient Israël rester, même après un accord de paix, un redoutable concurrent économique.
Les pages consacrées au dossier syrien, que l’auteur connaît de près, sont riches et novatrices. Comment deux pays peuvent-ils à la fois parler d’un accord de paix et multiplier les gestes de défiance, voire d’agression ? C’est ce qui s’est pourtant passé en 2007, quand Ehud Olmert et Bachar el-Assad ont entamé de longues négociations indirectes, par l’intermédiaire d’une Turquie qui déployait alors ses nouvelles ambitions diplomatiques. C’est dans ce contexte qu’en septembre de la même année, l’aviation de Tsahal bombardait et détruisait un site nucléaire dans le Nord de la Syrie. Ce raid, jusqu’à un récent article du New Yorker, est resté entouré d’un nuage de mystère. I. Rabinovich revient sur les logiques des deux protagonistes, qui se trouvaient avoir le même intérêt à garder profil bas sur cet événement. Israël avait montré à la Syrie sa détermination à empêcher l’importation au Moyen-Orient de la technologie nucléaire à possible vocation militaire (ici en provenance de Corée du Nord), et Bachar el-Assad n’avait aucune envie de se justifier auprès de la communauté internationale ni d’engager une riposte aussi hasardeuse que risquée.
L’originalité de ce livre nous fait espérer qu’un éditeur trouvera la volonté et les moyens d’en proposer une version française.

Samuel Ghiles-Meilhac

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