Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Jérôme Marchand  propose une analyse de l’ouvrage de Seth G. Jones, Hunting in the Shadows. The Pursuit of Al Qa’ida Since 9/11 ( New York, W.W. Norton & Co, 2012, 544 pages).

Untitled-1L’ouvrage de Seth Jones propose à la fois une galerie de portraits de militants, une synthèse sur les stratégies antiterroristes et anti-insurrectionnelles américaines, une réflexion sur les facteurs environnementaux qui codéterminent les cycles d’action violente d’Al-Qaida et une récapitulation des procédures officielles ayant mené à la neutralisation de telle ou telle cellule activiste aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Premier atout du texte : l’exploitation très habile que l’auteur a fait des sources accessibles de part et d’autre de l’Atlantique. Mêlant inserts biographiques, minutes de procès, extraits d’écoutes clandestines, croisant rapports officiels, entretiens en face à face, mémoires de personnalités, interrogatoires post-arrestation, enquêtes journalistiques, le récit se montre à la fois vivant, instructif et précis. Deuxième atout : le découpage chronologique opéré par l’auteur. Partant de l’idée que les stratégies des forces en présence voient leur efficacité symbolique conditionnée par leur degré de focalisation opérationnelle, Seth Jones nous invite à distinguer trois phases hautes dans le cheminement d’Al-Qaida : 1998- 2001 (des frappes africaines au 11 septembre), 2003-2006 (de l’intervention en Irak aux attentats européens) et 2007-2009 (implantation dans la péninsule Arabique), et poursuit en identifiant les éléments ayant permis aux puissances occidentales de faire refluer les menaces.
Ce qu’il faut retenir ? D’abord, l’impact contre-productif des stratégies punitives aveugles auxquelles les deux camps ont recouru. Qu’il s’agisse des logiques de shock and awe, des quadrillages obsessionnels de territoires occupés, des pratiques de torture carcérale à grande échelle, des décapitations barbares postées sur le Web ou des attentats comminatoires ciblant les populations civiles, les faits suggèrent que les démonstrations de force primaires ont toutes sortes d’effets négatifs. Mieux vaut cibler avec soin ses objectifs. À souligner, ensuite, l’extraordinaire pouvoir de régénération d’Al- Qaida. Loin d’être moribonde, nous avertit S. Jones, la mouvance cofondée par Ben Laden continue à manifester des capacités d’adaptation supérieures. Aux puissances occidentales de veiller à ce qu’elle ne puisse prendre pied durablement dans les États en perdition.
Des réserves ? Outre le côté « tableau de chasse » morbide de l’ensemble, on peut déplorer les logiques de dépréciation simplistes auxquelles succombe par moments l’auteur. Que tel ou tel leader terroriste, capturé par surprise dans un raid nocturne, ne paraisse pas sous son meilleur jour, voilà qui n’a rien de bien surprenant. Pourquoi le dénigrer en mettant en exergue sa figure dépenaillée ? Pourquoi, en parallèle, s’extasier sur la tenue impeccable de tel ou tel fonctionnaire rencontré dans le confort d’un bureau ? Rabaisser l’Autre à travers de tels artifices ne va pas dans le sens de l’apaisement [1]. À noter également que les apports de la National Security Agency (NSA), acteur central de la lutte antiterroriste, ne reçoivent que de brefs éclairages.

Jérôme Marchand

[1]. Dans la même direction, voir les mensonges grossiers de plusieurs officiels américains de haut rang, concernant Ben Laden et ses réactions lors de l’assaut des 1-2 mai 2011.

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