Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Yaël Hirsch propose une analyse de l’ouvrage de Daniel Jonah Goldhagen, Pire que la guerre. Massacres et génocides au xxe siècle (Paris, Fayard, 2012, 750 pages).

00-Goldhagen-9782213654683-X_0Daniel J. Goldhagen, ancien professeur de science politique à Harvard et auteur du best-seller Les Bourreaux volontaires de Hitler. Les Allemands ordinaires et l’Holocauste (Paris, Seuil, 1997), élargit la grande thèse de cet essai à l’ensemble des meurtres de masse : celui des Arméniens, du Darfour, la Shoah, les crimes soviétiques, le Cambodge, le Guatemala, l’ex-Yougoslavie, le Rwanda et même Hiroshima. Pire que la guerre reste fidèle aux convictions de l’auteur. Mais, plombé par l’émotion, cet essai répétitif reste très faible quant à ses sources.
Quand la thèse de D.J. Goldhagen est parue en 1996, sa démonstration de la participation convaincue des Allemands moyens à la destruction des juifs a passionné et divisé autant les intellectuels que le grand public. Dans Pire que la guerre, il développe l’idée qu’il faut dépasser la notion de génocide qui n’est que l’étape finale d’un processus de « politique éliminationniste » qui passerait par diverses mises en œuvre (répression, expulsion, interdiction de reproduction) et divers outils (discrimination, famine, internement et élimination systématique). Selon l’auteur, le massacre de masse n’est pas seulement lié à un contexte de guerre : c’est un mode de gouvernement à théoriser pour « écarter les pratiques “éliminationnistes” du répertoire normal de la politique ».
Cet engagement intellectuel fort achoppe néanmoins sur une émotivité intense, à contre-emploi du « sang-froid » souhaité par l’auteur, ainsi que sur trois grandes faiblesses. D’abord celle de la construction du livre, scindé en trois parties, et qui se répète dans les deux premières. D.J. Goldhagen réitère ad nauseam l’argumentaire sur le libre arbitre des bourreaux, même si c’est l’idéologie portée par les chefs qui convainc les masses d’œuvrer à la transformation de leur pays en participant au pire.
Ensuite, s’il est tout à l’honneur de l’auteur de considérer certaines attaques « éliminationnistes » moins étudiées, l’étude repose sur trop peu de sources pour restituer à chaque meurtre sa spécificité. Fort de son expérience, d’une dizaine d’entretiens et de son idée que personne n’a su parler de massacres de masse avant lui, D.J. Goldhagen ne cite ni sources, ni ouvrages de référence, quand il décrit encore et encore des exactions ponctuées de chiffres approximatifs.
Enfin, la troisième partie : « Ce que nous pouvons faire » déçoit quand elle défend un interventionnisme exacerbé, afin d’endiguer les deux derniers « exterminationnismes » : l’islam politique et la menace nucléaire. Le second est évincé en une page contre plusieurs dizaines pour l’islam politique auquel « une bonne partie du 1,2 milliard de musulmans » accorderaient « leur soutien ». Et l’appel à plus de fermeté internationale se transforme vite en rodéo, quand l’auteur va jusqu’à souhaiter la légalisation du meurtre des massacreurs « par tous les moyens » et suggérer de « liquider les Nations unies » où siégeraient actuellement autant de « criminels endurcis » que de démocrates.
Interprétant tous les meurtres de masse à la lumière de la Shoah, « éliminationnisme » absolu, et théorisant des faits trop divers pour être comparés sans méthode solide, Pire que la guerre ne parvient pas à prouver sa thèse principale, et se transforme assez vite en une longue description de ce que l’homme peut faire à l’homme.

Yaël Hirsch

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