Cette recension est issue de Politique étrangère (4/2013). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Maxime Lefebvre – La construction de l’Europe et l’avenir des nations (Paris, Armand Colin, 2013, 208 pages).

9782200286330-VAux États-Unis, franchir les revolvings doors qui séparent la politique du monde de la recherche est monnaie courante. Ce genre de parcours est beaucoup moins fréquent en France. Quelques chercheurs sont devenus diplomates ; quelques rares diplomates ont abandonné le Quai d’Orsay pour la recherche. Mais dans un cas comme dans l’autre, ces changements d’état s’effectuent d’ordinaire sans espoir de retour. Maxime Lefebvre a réussi à concilier une carrière de diplomate (il est aujourd’hui représentant permanent de la France auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE]) et d’universitaire (avant son départ pour Vienne, il était professeur à Sciences Po).

En février 2012, il a soutenu une thèse de doctorat en science politique sur travaux dont il publie une version remaniée. La position qu’il y défend est d’une grande clarté : la construction européenne ne se fera pas contre mais avec les nations. Si l’on regarde vers le passé, elle ne peut être comprise sans qu’on prenne en compte leur diversité et leurs identités : le jacobinisme français, le Sonderweg allemand, l’insularité britannique… Regardant vers l’avenir, elle ne peut conduire, du moins à courte échéance, à la réalisation d’un vaste ensemble fédéral mais plutôt, comme l’avait prophétisé Jacques Delors, à une « fédération d’États-nations », combinant « un véritable lien fédéral et l’existence de nations restées distinctes ».

Maxime Lefebvre revisite ainsi les principaux champs de la construction européenne à travers le prisme des intérêts nationaux.

L’organisation institutionnelle ? Les pays à gouvernement fort (France, Royaume-Uni, Espagne) ont toujours préféré l’approche intergouvernementale alors que, pour les pays fédéraux et régionalisés (Allemagne, Italie), « l’Europe est une superstructure plus naturelle que pour les nations française, britannique ou espagnole ».

L’élargissement ? Pour la France, qui redoute la dilution de son influence et le déplacement à l’est, voire au sud-est, du barycentre européen, c’est un tabou. Pour l’Allemagne, qui a pu voir dans la chute du Mur l’espoir de renaissance d’une Mitteleuropa qu’elle aurait vocation à dominer, c’est au contraire une opportunité – même si les positions de Berlin et de Paris se rejoignent désormais sur la Turquie.

Le rapport à l’économie ? Les pays riches de l’Europe du Nord renâclent de plus en plus à assumer les errements budgétaires des pays « du Club Med »…

La politique extérieure ? France et Royaume-Uni ont tous deux des traditions de grande puissance mondiale. Les autres pays de l’Union n’ont pas la même ambition. Ces divergences expliquent la difficulté à faire émerger une politique de sécurité et de défense commune.

Maxime Lefebvre n’est pas un souverainiste qui, vent debout contre l’Europe de Bruxelles, entend s’opposer à la construction européenne. Son ambition est à la fois plus modeste et plus réaliste. En replaçant systématiquement l’analyse dans le temps long et dans l’anthropologie (cf. l’approche d’Emmanuel Todd à partir des systèmes familiaux), il entend éclairer la diversité des réflexes nationaux dans le jeu européen. Et souligner, avec Vivien Schmidt – qui a présidé son jury de thèse –, un paradoxe : les nations n’ont plus que la politique sans les politiques (politics without policies) tandis que l’Union fait désormais les politiques sans la politique (policies without politics).

Yves Gounin

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