Logo Le Monde okGaïdz Minassian consacre une recension au dernier numéro de Politique étrangère dans Le Monde (voir l’article original).

Encore un dossier sur la guerre de 1914-1918. Et pourtant, celui que nous propose la revue Politique étrangère dans son dernier numéro se singularise des autres publications sur le sujet, dont nous commémorons cette année le centenaire. Il ne s’agit pas ici de se souvenir de telle ou telle bataille sur le front européen ou ailleurs. Il ne s’agit pas non plus de revenir sur les causes du premier conflit mondial. Non, il est question, comme l’écrit Dominique David, le rédacteur en chef de la revue éditée par l’Institut français des relations internationales (IFRI), de « se poster à la jonction de trois récits : ce qu’on nous a dit d’hier ; ce que nous savons d’aujourd’hui ; ce que nous imaginons de l’avenir ».

Au-delà de l’impact de la Grande Guerre sur le système international, les sociétés et les mémoires, ces interrogations traduisent en fait un malaise de notre époque : l’affirmation du nationalisme dans la stratégie des États émergents comme la Russie, la Chine ou l’Inde, réveille nos angoisses et remet au goût du jour la notion d’hégémonie, cette posture qui, par le passé, avait préparé le terrain à la grande déflagration entre puissances rivales. C’est donc pour se prémunir d’une nouvelle montée des extrêmes, insiste Hew Strachan, historien à l’université d’Oxford, que la mémoire de ce conflit doit se perpétuer.

Organisée en quatre parties, cette réflexion sur la guerre de 1914-1918 couvre l’ensemble des préoccupations des sociétés modernes et montre du doigt les crispations de l’Union actuelle. À la veille des élections européennes décisives sur la montée pressentie du populisme de droite, les propos du sénateur et ancien ministre Jean-Pierre Chevènement sur le déclin de l’Europe résonnent comme un avertissement : « Il ne faut pas confondre nation et nationalisme qui n’en est qu’une perversion. » Si, justement, l’Europe est sortie de l’Histoire, avance-t-il, c’est parce que ses élites ont renoncé à l’idée de nation au profit d’une approche économique qui a terrassé le politique. Et pour que l’Europe retrouve le chemin de la cohésion, elle doit changer de logiciel et se fonder sur la démocratie et la coopération des nations.

Ce retour d’une Europe-puissance passerait par la remilitarisation des États membres, préconise Etienne de Durand, directeur du centre des études de sécurité de l’IFRI. Mais comment faire ? Crise oblige, les Européens ont opté pour la démilitarisation et la délégitimation de la guerre, jusqu’à susciter l’inquiétude des Américains, souligne Klaus Larres, historien des relations internationales à l’université de Caroline du Nord, à Chapel Hill.

Les différentes contributions se réfèrent à la guerre de 1914-1918 pour sortir l’Europe de sa torpeur afin qu’elle retrouve du sens politique et devienne un pôle de puissance dans le cadre d’un monde multipolaire. L’Union européenne y serait sinon plus forte, du moins à égalité avec les autres acteurs majeurs.

Mais cet appel au retour de l’Europe dans l’Histoire soulève trois problèmes. D’abord sur la forme : les États n’ont plus le monopole des relations internationales. Les sociétés civiles leur contestent désormais certaines prérogatives et il est impossible, dans le cas des démocraties, d’agir sans leur consentement. Ensuite dans son expression : la formation de ces pôles de puissances se heurtera à la mondialisation, ce qui pour cette dernière pourrait se traduire par une laborieuse régulation des échanges. Enfin, sur le fond : où est-il écrit que ce sont les histoires nationales qui font l’Histoire ?

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