IndiaCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Isabelle Saint-Mézard propose une analyse de l’ouvrage de Sumantra Bose, Transforming India. Challenges to the World’s Largest Democracy, (Cambridge, MA, Harvard University Press, 2013, 352 pages).

La première qualité de l’ouvrage de Sumantra Bose est d’éclairer une actualité indienne encore dominée par les seizièmes élections générales du printemps 2014. On s’intéresse en effet ici à la régionalisation grandissante du système politique indien, une tendance de fond qui a toujours été à l’œuvre dans le pays, mais qui s’est fortement accentuée depuis les années 1990. Comme le note l’auteur, cette régionalisation complique, fragmente et diversifie une scène politique jadis dominée par le seul parti du Congrès national indien. Elle conduit en effet à « l’émergence d’une pléthore de partis politiques représentants des identités et des intérêts communautaires particuliers, chacun [de ces partis] étant basé dans un seul État de l’Union indienne ». À un niveau plus structurel, elle change la nature même du système politique, soumis à une « fédéralisation par le bas », en faisant advenir une démocratie de plus en plus « décentrée ». Dans un tel contexte, l’auteur se montre sceptique sur l’avenir du Congrès, qui reste trop centralisé et trop dépendant de la dynastie Nehru-Gandhi. Le Parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party, BJP), en revanche, lui semble mieux à même de s’adapter à ces mutations profondes, comme le montre l’exemple de Narendra Modi qui, avant de se hisser sur la scène politique nationale, a longtemps œuvré au niveau strictement régional comme chef de gouvernement du Gujarat.

Le thème de la régionalisation du système politique indien fait désormais l’objet de nombreuses études. Cet ouvrage présente néanmoins l’intérêt d’aborder cette question complexe de façon globale et originale. Globale, car ses deux premiers chapitres retracent finement la trajectoire historique de la démocratie indienne depuis l’indépendance, en rappelant que les neuvièmes élections générales de 1989 ont constitué un point de bascule à partir duquel le phénomène de régionalisation est allé en s’accélérant. Originale, car les trois chapitres suivants se consacrent à des analyses plus ciblées : d’abord sur les dynamiques de mobilisation au Bengale occidental, un État qui fut parmi les premiers à connaître une régionalisation de sa scène politique, puis sur deux des grands problèmes de sécurité qui continuent de miner la stabilité de la démocratie indienne : la rébellion maoïste et le problème du Cachemire.

Au long des cinq chapitres, l’auteur met continûment l’accent sur la compréhension des « changements par le bas », c’est-à-dire sur l’analyse des mobilisations des masses indiennes, y compris et surtout des plus déshéritées d’entre elles. Le propos s’en trouve d’autant plus riche, vivant et instructif. À ce titre, les chapitres sur le Bengale occidental et sur la rébellion maoïste sont particulièrement intéressants. Ils exposent sans concession la brutalité des rapports de domination liés au système des castes et la culture de la violence politique qui sévit en Inde. Ainsi, qu’elles s’opèrent par les urnes (au Bengale occidental) ou par les armes (avec les maoïstes), la mobilisation et l’émancipation de certains groupes sociaux parmi les plus fragiles conduisent en pratique à des confrontations d’une immense violence avec les pouvoirs dominants en place.

Transforming India est en somme un ouvrage clair, précis et détaillé. Sa lecture est particulièrement recommandée à tous ceux qui cherchent à comprendre les transformations profondes à l’œuvre dans une démocratie qui compte aujourd’hui 1,2 milliard d’habitants.

Isabelle Saint-Mézard

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