Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2015).  Denis Bauchard propose une analyse croisée de : Georges Malbrunot et Christian Chesnot, Les Chemins de Damas. Le dossier noir de la relation franco-syrienne (Robert Laffont, 2014, 390 pages) et de Frédéric Pichon, Syrie. Pourquoi l’occident s’est trompé (Éditions du Rocher, 2014, 132 pages).

Ces deux ouvrages viennent à leur heure. Alors que se développent les interrogations sur la pertinence des choix des États-Unis et de l’Europe à l’égard du régime de Bachar Al-Assad, ils permettent de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la politique menée en particulier par la France se trouve dans une impasse.

Le premier ouvrage, très documenté, s’attache à analyser, pour la période qui s’étend de 1981 à aujourd’hui, l’évolution des relations bilatérales entre Paris et Damas. Ce qui frappe, à sa lecture, est le caractère dense, difficile et heurté de ces relations, qui sont passées par des hauts et des bas, souvent de façon brutale. En dépit de l’assassinat de l’ambassadeur Louis Delamare à Beyrouth par les services de renseignement syriens, François Mitterrand s’emploie à renouer avec le régime de Hafez Al-Assad et se rend à Damas en octobre 1984. Jacques Chirac, seul chef d’État à avoir assisté aux obsèques du président syrien, donne, sur les conseils de Rafic Hariri, une nouvelle impulsion à la coopération entre les deux pays, y compris dans des domaines sensibles, en appui au « printemps de Damas » – initié par Bachar Al-Assad dans les premiers mois de sa présidence, et qui devait être rapidement arrêté. La déception française sera d’autant plus grande que les espoirs avaient sans doute été illusoires. La rupture est consommée avant même l’assassinat de Hariri, à la suite de l’initiative prise par la France aux Nations unies qui conduira à la résolution 1559 et au départ des troupes syriennes du Liban. Un même cycle d’illusion et de rupture se développe avec le président Sarkozy : convié à Paris en juillet 2008 pour la conférence de lancement de l’Union pour la Méditerranée, Bachar Al-Assad y assiste au défilé du 14 Juillet, puis sera reçu en visite officielle en décembre 2010, avant d’être invité quelques mois plus tard, en août 2011, à quitter le pouvoir. Le président Hollande maintiendra cette ligne en la durcissant.

Comment expliquer une telle évolution, quelque peu chaotique et qui débouche sur une impasse ? Les auteurs, sans complaisance pour le régime syrien, soulignent les illusions des gouvernements français successifs qui ont cru que le régime pourrait se démocratiser, assouplirait son protectorat sur le Liban, et pourrait devenir un partenaire constructif dans l’établissement de la paix et de la stabilité au Moyen-Orient. Les relations franco-syriennes ont aussi été placées, et ceci à plusieurs reprises, sous le signe de l’émotion, avec des réactions sans doute excessives dans un sens comme dans l’autre. En outre, malgré les avertissements de bons connaisseurs du pays, il y a eu à l‘évidence sous-estimation de la capacité de résilience d’un régime certes minoritaire, mais qui s’appuyait sur un appareil sécuritaire efficace et sans état d’âme. Alors que les préoccupations des chrétiens d’Irak étaient prises en compte, il n’en fut pas de même, paradoxalement, de ceux de Syrie, dont la grande majorité continue d’appuyer un régime laïc par peur d’une alternance islamiste. Ainsi, appuyé par l’Iran et la Russie, le régime est toujours en place, et l’opposition modérée marginalisée au profit de groupes djihadistes qui, manipulés par le pouvoir, sont devenus la principale force de contestation.

Le livre de Frédéric Pichon fait une analyse assez comparable. Dans un chapitre intitulé « L’insoutenable légèreté de la France », il met en cause une politique placée plus sous le signe de l’émotion et de l’idéologie que de la prise en compte des véritables intérêts de la France, dont la sécurité est à l’évidence de plus en plus menacée par le chaos qui se développe au Moyen-Orient.

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