Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (2/2015). Jean-Arnault Dérens propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jacques Rupnik, Géopolitique de la démocratisation. L’Europe et ses voisinages (Paris, Presses de Sciences Po, 2014, 331 pages).

Géopolitique de la démocratisationCe livre, qui recueille de stimulantes études de cas, des Balkans au Caucase en passant par la Moldavie, part du constat que l’Union européenne traverse aujourd’hui une crise majeure : « une crise de confiance interne vis-à-vis de son projet et une crise externe marquée par la déstabilisation simultanée de ses voisinages à l’est comme au sud », comme le note Jacques Rupnik dans son introduction. Cependant, malgré les intéressantes approches comparatives que ce livre suggère, il n’engage pas de réflexion sur les causes de cette double crise.

Alors que l’objectif de paix est au cœur du projet européen, l’UE, pourtant lauréate en 2012 du Prix Nobel de la paix, ne sort pas d’une contradiction manifeste depuis le début des années 1990. Si elle peut effectivement se targuer d’avoir neutralisé les guerres sur son territoire, elle s’accommode toujours d’une dangereuse conflictualité à ses confins – hier dans les Balkans, aujourd’hui en Ukraine, au Sahel ou au Proche-Orient. Il semble pour le moins étonnant de prétendre, comme le fait Jacques Rupnik, que l’intervention militaire au Kosovo en 1999 « fit des Balkans le terrain privilégié de la réhabilitation de la politique étrangère et de sécurité commune », quand cette intervention fut décidée par l’OTAN et ne fit pas l’objet du moindre consensus parmi les partenaires européens. On pourrait même penser que cette intervention a, bien au contraire, sonné le glas d’une politique étrangère commune, les enjeux de sécurité étant « abandonnés » à une structure extra-européenne. Et la « crispation russe » s’explique beaucoup plus, depuis la guerre du Kosovo, par les ambitions croissantes de l’OTAN que par les perspectives d’élargissement européen.

D’une manière générale, la réflexion entamée sur ces « espaces intermédiaires » que sont l’Ukraine, la Moldavie ou le Caucase – voire les Balkans – peut-elle se limiter à une approche militante, le « mal » étant naturellement identifié à Moscou et le « bien » à un « Occident » aux contours incertains ? Cette approche manichéenne amène notamment à négliger la diversité des priorités et des stratégies des différents pays européens, que met justement en lumière la « comparaison » esquissée dans un passionnant dialogue entre Jacques Rupnik et Gilles Kepel à propos des voisinages européens à l’est et au sud.

Enfin, les auteurs partagent comme une évidence un point qui fait pourtant de plus en plus débat, celui d’une équivalence, d’une quasi-synonymie, entre « européanisation » et « démocratisation ». Affirmer que « la diffusion du modèle démocratique de l’UE à l’est du continent » demeure le plus grand succès de l’Union résonne avec une certaine ironie quand la Hongrie, membre de l’UE depuis 2004, est régulièrement pointée du doigt pour ses entorses aux principes démocratiques les plus élémentaires. De plus, les exemples de la Serbie ou de la Macédoine montrent comment des régimes autocratiques peuvent utiliser « l’argument européen » pour faire taire leurs oppositions, museler la presse et conforter sans cesse leur pouvoir. Se réjouir, comme le fait Pierre Mirel, de la « conversion à l’Europe » engagée par les nationalistes serbes relève d’un étonnant optimisme, qui confine à l’aveuglement.

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