Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (4/2015). Aurélie Faure-Schuyer propose une analyse de l’ouvrage de Sandrine Feydel et Christophe Bonneuil, Prédation. Nature, le nouvel Eldorado de la finance (Paris, La Découverte, 2015, 250 pages).

Prédation_NatureC’est avant tout d’une question éthique et idéologique dont s’inquiètent les auteurs de cet ouvrage. Ils récusent l’idée que la nature puisse faire l’objet d’une forme de commerce et confrontent le lecteur à différentes questions. Comment recréer la nature quand elle a été détruite ? Quelle autorité pour légiférer en matière d’environnement ? Quel rôle pour les politiques publiques ? Il amène le lecteur à percevoir les stratégies de greenwashing, comme l’aboutissement d’un mouvement idéologique néolibéral de grande ampleur. Pourtant, ces stratégies pourraient également être perçues comme une réaction des multinationales face à leur propre survie d’« espèce menacée ».

Conçu comme un script de film documentaire – un documentaire portant le même titre a d’ailleurs été rendu public par la chaîne Arte en 2014 – l’ouvrage est conjointement écrit par un chercheur, spécialiste de la biodiversité, et une journaliste. L’enquête démarre en Californie en 1993, où la « mouche des sables Delhi amoureuse des fleurs », classée par le gouvernement américain comme une espèce rare en danger d’extinction, soulève la fronde des promoteurs immobiliers. Le conflit sera résolu par la création de la première « bio-banque » américaine, une banque qui propose à ses clients des droits à compenser la disparition d’une espèce naturelle.

Retenu comme point de départ de l’ouvrage, cet exemple constitue le prélude d’un enchaînement d’épisodes, retraçant la création des marchés de droits à polluer, ainsi que la montée en puissance des grandes institutions financières et des multinationales dans l’élaboration des politiques publiques de l’environnement.

Les auteurs constatent avec désarroi combien les grandes politiques publiques de l’environnement et de la santé ont été affaiblies sous les administrations républicaines de Ronald Reagan et Georges W. Bush ; alors qu’un mouvement idéologique néolibéral amène à considérer la biodiversité comme un actif financier. Aujourd’hui, les grandes institutions financières, elles-mêmes responsables de la crise des subprimes, s’attachent à valoriser l’écosystème en fonction des services rendus ou « services écosystémiques », au même titre qu’un produit financier.

L’ouvrage aborde l’avènement des grands mécanismes de la finance carbone et des marchés de l’assurance des risques climatiques. L’activisme conjoint des multinationales et du secteur financier, à travers des groupes de lobby– comme le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBSCD) –, est retracé au fil des entretiens. Vale, le conglomérat brésilien d’extraction minière, est pointé du doigt à plusieurs reprises comme auteur d’une véritable tentative de « mainmise » des multinationales sur leur environnement.

En toile de fond, l’ouvrage évoque la perte d’influence de l’Organisation des Nations unies, pour amener à une transformation fondamentale du modèle de développement économique Nord-Sud. Il aboutit finalement à une analyse originale des stratégies mises en œuvre par les multinationales pour valoriser auprès de leurs actionnaires leurs bénéfices environnementaux, un processus autrement nommé greenwashing. Ces véritables opérations de marketing peuvent néanmoins se révéler risquées, comme le rappellent les auteurs, en se référant à la campagne menée par British Petroleum avant la marée noire du Golfe du Mexique.

Aurélie Faure-Schuyer

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