La rédaction a le plaisir de vous offrir un second article du numéro d’automne 2016 de Politique étrangère : « Europe : Back to the Future », écrit par Guy Verhofstadt.

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« Sans galvauder le mot, on peut affirmer que le référendum britannique du 23 juin dernier est un événement historique dont l’onde de choc se fera longtemps sentir. L’effet de sidération devra pourtant bien s’arrêter un jour pour voir la réalité en face : le Brexit a eu lieu et le Royaume-Uni va sortir à moyen terme de l’UE. Une issue logique après 43 ans d’un mariage raté entre la perfide Albion et le continent ? Après tout, n’avait-on pas consenti à David Cameron divers arrangements destinés à rassurer les Britanniques, déjà gavés de dérogations en tout genre, afin qu’ils votent Remain, comme une limitation des prestations sociales aux ressortissants de l’UE, jugés envahissants, et la préservation des intérêts financiers de la City ? Et ils ont quand même mal voté, ces ingrats d’Anglais !

Ce serait une explication simple et rassurante. En vérité, qui peut dire ce que donnerait un référendum en France sur l’appartenance à l’UE ? Lors du dernier exercice similaire, en 2005, sur la Constitution européenne, plusieurs lignes rouges avaient aussi été respectées : confirmation de l’« exception culturelle », pérennité du financement d’État des services publics, maintien de la PAC… On avait même vidé de sa substance la fameuse directrice Bolkestein sur la libéralisation des services, qui était alors en négociation, pour éviter d’agiter la peur du « plombier polonais ». On connaît le résultat.

Ainsi donc, rien n’y ferait : les peuples européens sont contre l’Europe. Alors autant fermer tout de suite les institutions et dissoudre le Parlement européen, plutôt que de perdre notre temps et l’argent du contribuable, comme disent les populistes et les europhobes. Moi, je ne suis pas d’accord. Je ne crois pas que les peuples européens soient contre l’Europe. Mais ce n’est pas en les appâtant avec des gadgets politiques avant une élection cruciale qu’on les intéressera à l’Europe. C’est en œuvrant à montrer sa nécessité. Or depuis 2008, l’Europe affronte une série de crises toutes plus graves les unes que les autres, sans que l’UE apparaisse utile pour les résoudre.

Une vingtaine de sommets « de la dernière chance » pour « sauver la Grèce » a accouché de trois plans d’aide successifs, dont les seuls résultats ont été d’appauvrir et d’endetter davantage les Grecs. Le comble étant qu’aujourd’hui l’avenir de la Grèce dans la zone euro n’est toujours pas assuré. Quant à la crise financière, l’Union bancaire qui devait y répondre est restée au milieu du gué, au moment où les banques sont fragilisées par le Brexit. Enfin, une guerre à nos portes, face à laquelle nous sommes désarmés diplomatiquement et militairement, a provoqué le départ de millions de réfugiés. La réponse a été d’ouvrir les frontières sans contrôle, puis de les fermer sans discernement, avant de sous-traiter le problème à la Turquie. Procrastination et incohérence sont les deux mamelles de la gouvernance européenne.

Repli sur le pré carré national

J’avais pris position avant le référendum, annonçant que Brexit ou non, il faudrait que l’Europe se réforme au lendemain du scrutin. Aujourd’hui, cette urgence apparaît criante. Sans attendre que la gentry dilettante qui règne à Londres nous notifie son départ, il est temps d’affronter ce débat en face et sans tabou. Le projet européen initial s’est peu à peu dissous dans une machinerie administrative et juridique rebutante, dans laquelle personne ne se retrouve, à part les initiés bruxellois. Peu nombreux sont ceux, ces derniers temps, qui assument l’Europe telle qu’elle est.

Pour ma part, j’ai réalisé la faillite de notre projet voilà plus de 15 ans lorsque j’ai siégé pour la première fois comme Premier ministre et même présidé le Conseil européen. Et je ne cesse depuis de plaider en faveur de changements profonds. Le tournant est intervenu en mars 2003, avec un seul sujet d’actualité : la prochaine guerre en Irak. L’Europe est alors divisée. Un grand classique. Le 16 mars, José-Manuel Barroso, alors Premier ministre portugais, convie aux Açores Georges W. Bush pour une réunion avec ses homologues britannique et espagnol Tony Blair et José-Manuel Aznar. Au Conseil européen des 22 et 23 mars, je demande à ce qu’on ait une discussion politique sur cette question. Elle durera une minute, le temps que le président français Jacques Chirac dise : « Hey Tony, ce n’est pas la peine d’en discuter, on n’est pas d’accord, non ? », et que le Premier ministre Tony Blair réponde : « Tu as raison. On n’est pas d’accord. » Voilà. C’était fini.

Quand on sait combien l’Europe paye encore au prix du sang les conséquences de ce conflit, je reste persuadé que j’avais mis le doigt sur « le » problème de l’UE : ses institutions ne font pas de politique. Et c’est la principale raison pour laquelle les citoyens, inquiets à juste titre par les désordres de la planète, s’en détournent et se replient sur leur pré carré national qui apparaît plus concret et protecteur.

Le problème de l’UE : ses institutions ne font pas de politique

La coopération intergouvernementale, concept diplomatique d’après-guerre qui constitue notre socle institutionnel, a trouvé la plénitude de son fonctionnement avec la Communauté économique européenne. Le champ était étroit : parvenir à créer un espace de libre circulation des marchandises. L’Acte unique a mâtiné cette coopération d’un peu de démocratie, en introduisant la codécision avec un Parlement européen jusqu’alors seulement consulté, et le vote à la majorité qualifiée au Conseil. C’est ainsi qu’on a pu bâtir en quelques années un marché intérieur normalisé, le plus grand et le plus ouvert du monde pour les produits, les services et les capitaux.

Pour la libre-circulation des personnes, ce fut déjà plus compliqué. Pendant quelques années, les États ont conservé la gestion de l’espace Schengen, avant de consentir à le communautariser avec le Traité d’Amsterdam au début des années 2000. Mais cette avancée demeure fragile, ainsi que l’a révélé la crise des réfugiés durant laquelle les frontières nationales se sont fermées les unes après les autres, tandis que les populistes réclamaient, et réclament toujours, la renationalisation des frontières intérieures, et que les États membres tergiversent pour créer un corps de gardes-frontières européens destiné à sécuriser nos frontières extérieures. La libre-circulation à travers notre immense et magnifique territoire est pourtant le principal acquis populaire de l’Europe, un bénéfice dont tous nos citoyens conviennent, comme on le voit désormais avec cette ruée de ressortissants Britanniques cherchant à obtenir un passeport de l’UE par crainte de perdre ce sésame, symbole de liberté. […] »

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