Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n°3/2016). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Jacques-Jocelyn Paul, Arabie Saoudite, l’incontournable (Riveneuve, 2016, 544 pages).

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Cet important ouvrage est une contribution intéressante, voire érudite, à la connaissance d’un pays dont la vie politique reste d’une grande opacité pour l’observateur. Son auteur, Jacques-Jocelyn Paul, homme d’affaires résidant dans le pays depuis plusieurs décennies, donne un tableau qui marque une indéniable empathie à son égard, tout en conservant une certaine distance. Abondamment illustré, le livre s’accompagne de nombreux documents, cartes, photographies, arbres généalogiques, encarts qui rendent sa lecture agréable et éclairent certains aspects peu connus de son histoire et du mode de fonctionnement de la famille des Saoud.

Une large place est consacrée à l’histoire. L’auteur remonte à la période pré-islamique puis dessine l’histoire de l’Arabie Saoudite depuis l’époque du prophète jusqu’à nos jours, en évoquant « le pacte inaltérable » avec Abdel Wahad, et en décrivant l’action des souverains qui se sont succédé depuis Ibn Saoud jusqu’au roi Salman. Il insiste en particulier sur le tournant représenté par l’année 1979 qui a connu deux événements majeurs : l’attaque meurtrière de la grande mosquée de La Mecque par un commando mené par Juhayman Al-Otaibi, issu d’une grande tribu du Najd, et les attaques en légitimité de l’imam Khamenei à la suite de l’établissement de la République islamique d’Iran. Ces deux événements menèrent la famille Saoud à pratiquer une escalade fondamentaliste, tandis que les relations avec l’Iran, malgré quelques efforts de conciliation de part et d’autre, aboutissaient à un affrontement avec Téhéran, qui reste plus que jamais d’actualité.

Les chapitres relatifs à la vie politique intérieure, aux caractéristiques de la saoudité, et au mode de fonctionnement du régime familial présentent un grand intérêt. L’auteur décrit les « fondements d’une arabité ancestrale et tribale » en resituant la famille des Saoud dans le dispositif tribal existant dans la péninsule arabique depuis le fond des âges. Il montre l’importance des racines tribales et le jeu des grandes familles saoudiennes. Il éclaire, à l’aide d’arbres généalogiques, le who’s who de la famille des Saoud et de ses différents clans, entre lesquels se répartissent quelque 4 000 membres. Il rappelle le mode de succession, et souligne que le saut de génération est maintenant engagé. Malgré les défis auxquels le pays doit faire face, il estime que le régime est solide compte tenu de ses fondements tribaux et religieux.

Les défis extérieurs, à travers les champs de bataille sur lesquels l’Arabie s’affronte avec l’Iran, la Syrie, le Liban, le Yémen notamment, tout comme la façon dont l’Arabie Saoudite les affronte, auraient pu être plus développés. À l’évidence, la diplomatie du chéquier jusqu’à maintenant pratiquée et la promotion d’un islam unitariste – mot que l’auteur préfère à wahhabite – ne suffisent plus. La « doctrine Salman », née de la dégradation des relations avec les États-Unis, marque une rupture trop récente pour que l’auteur ait pu l’étudier. Il est trop tôt pour en apprécier la pertinence et l’efficacité. Il est vrai que l’Arabie Saoudite doit faire face à des défis sans précédent à un moment où ses ressources financières sont sérieusement affectées, depuis la chute du cours du pétrole, chute à laquelle elle a elle-même contribué.

Ce livre contribue à décrypter l’action d’un pays incontournable mais dont le mode de gouvernance et la politique intérieure et extérieure sont de plus en plus mal perçus dans les pays occidentaux.

Denis Bauchard

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