Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Sonia Le Gouriellec propose une analyse de l’ouvrage d’Andrew Harding, The Mayor of Mogadishu: A Story of Chaos and Redemption in the Ruins of Somalia (Saint Martin’s Press, 2016, 288 pages).

Mayor of Mogadishu

Cet ouvrage est l’histoire de l’homme qui avait « le job le plus dangereux du monde », et représente un formidable prétexte pour raconter l’histoire contemporaine de la Somalie. Andrew Harding, journaliste à la BBC, a voulu dresser le portrait du maire de Mogadiscio, capitale d’un pays déchiré depuis le début des années 1990.

Mohamoud « Tarzan » Nur est un nomade pauvre, abandonné dans un orphelinat du nouvel État indépendant de la Somalie. Il devient néanmoins, de 2010 à 2014, maire de Mogadiscio, après s’être marié et expatrié dans le Golfe, puis en Angleterre, et alors qu’il est devenu un homme d’affaires prospère.

L’ouvrage se compose de trois parties chronologiques. Les deux premières retracent les premières années de l’État somalien après son indépendance en 1960, puis les germes du chaos contemporain, après le conflit de l’Ogaden qui oppose la Somalie à l’Éthiopie en 1977. En parallèle, nous sommes amenés à suivre les débuts difficiles dans la vie de « Tarzan », jusqu’à sa prise de fonction comme maire en 2009.

Dans la troisième et dernière partie (2010-2016), l’auteur nous convie à ses différents voyages en Somalie. Il nous fait partager ses craintes, dans un pays où l’on ne peut faire confiance à personne, et où les attentats et les assassinats politiques rythment le quotidien. « Tarzan » n’est décrit ni comme un héros ni comme un criminel, mais comme le produit de son environnement. La Somalie y fait figure de champ de bataille permanent : la guerre n’y est pas une aberration temporaire, mais un véritable mode de vie.

Au-delà du portrait de « Tarzan », trois thématiques rythment l’ouvrage : la culture nomade, le rôle de la diaspora dans la crise somalienne et la reconstruction du pays. Andrew Harding s’efforce ainsi de comprendre la culture nomade qu’il tente magnifiquement de résumer : « Home is where you need to be, not where you were born. » L’auteur va au fil du texte à la rencontre des Somaliens de la diaspora, et rencontre aussi les proches de « Tarzan », s’attachant à reconstituer son histoire en parallèle à celle de son pays.

The Mayor of Mogadishu réhabilite la diaspora somalienne souvent accusée par la communauté internationale d’attiser le conflit en Somalie. Les Somaliens de la diaspora sont souvent surnommés dayuus-baro, ce qui qualifie des personnes qui diffuseraient une certaine forme d’immoralité et d’indécence. Cette image péjorative n’a toutefois pas empêché les Somaliens d’élire, en ce début d’année 2017, un président à la double nationalité : américaine et somalienne.

Pour autant, malgré ses qualités, certaines des thématiques de l’ouvrage nous semblent parfois insuffisamment traitées, ou bien inabouties. Plusieurs parties manquent de contextualisation politique. Ainsi en est-il de l’arrivée au pouvoir de l’Union des tribunaux islamiques en 2006, suivie de l’intervention éthiopienne. À aucun moment la fin de l’État somalien en 1991, et les causes de cet « échec », ne sont interrogées.

Pourtant, l’auteur trace quelques pistes de réflexion et cite l’un de ses interlocuteurs : « We like chaos, not order. » Cette réflexion fait écho aux travaux de George Balandier : « Le désordre se traduit en ordre », avance-t-il dans Le désordre. Éloge du mouvement (1988). Le chaos serait donc bien un sujet d’étude en tant que tel, car il peut receler un ordre caché, ce qu’Andrew Harding nous suggère d’ailleurs lui-même en filigrane.

Sonia Le Gouriellec

Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.