Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n° 4/2017). Maurice Vaïsse propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Patrick Boucheron, Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017, 800 pages).

L’ambition de cet ouvrage est de proposer à un large public « une histoire de France accessible et ouverte ». D’ailleurs, Patrick Boucheron annonce, dans son ouverture, que ce livre se veut « innovant » et « joyeusement polyphonique ». Difficile aux lecteurs de la revue Politique étrangère de bouder une telle invitation, qui privilégie « l’approche du grand large ». Et de fait l’ouvrage, qui se décline de la Préhistoire à 2015 en 146 entrées par dates, illustre le rapport de la France au monde dans un sens bien précis : il ne s’agit pas d’une histoire de la France mondiale, mais d’une histoire mondiale de la France.

Ce qui donne lieu à diverses réinter­prétations d’événements, ou à des choix décalés. Citons comme exemples intéressants la notice sur la création de Marseille par les colons grecs, qui n’est pas le départ de l’hellénisation de la Gaule ; celle sur le rôle des Gaulois qui réclament le droit d’accéder au Sénat de Rome ; au détriment du mythe de Poitiers et de Charles Martel en 732, l’auteur de la notice évoque Ruscino (près de Perpignan), où une troupe musulmane s’installe en 719 : les archéologues y décèlent des occupations successives ou simultanées, où l’Afrique se mêle à l’Europe.

Le développement sur Bouvines est un bel exemple d’« histoire mondiale » : « la journée » a peut-être « fait la France », mais l’auteur tient à démontrer qu’elle se dissout dans une approche du grand large ; de même pour les commentaires sur la figure de Rachi, qui rayonne à partir de la ville de Troyes, en plein Moyen Âge.

La révocation de l’édit de Nantes comme événement européen était plus attendue, de même que l’évocation du Code civil, code pour plusieurs nations ; plus près de nous, l’affaire Dreyfus comme affaire européenne, et l’exposition coloniale de 1931 qui pose la question d’une mentalité impériale de la France.

Autant on prend intérêt à lire ces notices substantielles et originales qui font revisiter avec fraîcheur l’histoire de France, autant on est parfois agacé par un parti pris volontaire et militant de minorer le rôle de la France en le dissolvant dans un ensemble mondial ou européen. Que la France n’ait pas tout inventé ou ne soit pas exemplaire en tout, que la nation française résulte d’un amalgame, qui le contesterait ? Mais on a l’impression que ce livre constitue une réponse tardive à la création du ministère de l’Identité nationale – ce qui serait beaucoup diminuer son intérêt. Cet ouvrage rassemble des contributions de qualité, dont on peut contester parfois les présupposés, mais qui ont le mérite d’inciter à la réflexion.

Maurice Vaïsse

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