Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Pierre Melandri propose une analyse de l’ouvrage de James F. Dobbins, Foreign Service: Five Decades on the Frontlines of American Diplomacy (Brookings Institution Press, 2017, 336 pages).

Comme le titre de l’ouvrage l’indique, de 1967 à 2014 (avec une parenthèse de onze ans à la Rand), James Dobbins a été aux avant-postes de la diplomatie américaine. Il a eu, à ce titre, l’occasion de travailler avec nombre de responsables des États-Unis mais aussi d’interlocuteurs étrangers, dont il dresse souvent des portraits incisifs et pénétrants. Il a aussi vécu directement le poids des contraintes intérieures sur l’élaboration de la politique extérieure : l’influence des lobbies ou préoccupations partisanes sur des dossiers comme Cuba ou Haïti ; ou, plus encore, les prérogatives du Congrès. Ainsi, pour s’être injustement attiré la vindicte du sénateur Jesse Helms, il s’est vu à jamais écarté de tout poste d’ambassadeur, un véto qui l’a amené, dans la seconde partie de sa carrière, à embrasser diverses missions d’envoyé spécial du président ou du secrétaire d’État.

Agréable à lire, l’ouvrage est riche en informations sur les multiples dossiers dont, dans ces années de pax americana, l’auteur a été conduit à s’occuper. Sa lecture révèle, au fil des pages, l’impact du passage du temps sur le fonctionnement de la « république impériale » : l’alourdissement des instances de discussion, le recul du département d’État face au Pentagone et, plus encore, à la Maison-Blanche ; l’ouverture progressive aux femmes d’un corps diplomatique au départ presque uniquement masculin et blanc. Plus encore, le livre illustre fidèlement le glissement des théâtres et des enjeux.

À ses débuts ainsi, la carrière de l’auteur le conduit à s’occuper presque exclusivement des questions européennes. Il va notamment être le témoin de la création, dans le plus grand secret, du « Quad » ; se valoir – à tort, comme il s’efforcera de le démontrer par la suite – l’image d’un adversaire de l’Union européenne pour s’être opposé à la volonté de Paris d’assurer un début d’autonomie militaire à cette dernière ; suivre le dossier du Kosovo, de la conférence de Rambouillet jusqu’à ce qu’il considère comme une entreprise de nation-­building couronnée de succès. Il travaillera même à l’organisation de la première « révolution de couleur », celle contre Milosevic en Serbie.

À cette époque pourtant, il a déjà été amené à participer au nouveau type de mission où, après la guerre froide, l’Amérique va toujours plus se lancer : la stabilisation, voire la démocratisation, de zones dont il n’était pas jusqu’ici familier. Ce qui nous vaut des développements souvent captivants sur la Somalie, Haïti et, par-dessus tout, l’Afghanistan où, sous Barack Obama, un Hamid Karzai se révèle un obstacle aussi frustrant que les talibans ou le Pakistan. Aux yeux de l’auteur, il est vrai, les difficultés auxquelles l’Amérique est alors confrontée résultent moins de l’ambition que s’est fixée l’administration Bush-fils que de son refus de se donner les moyens qui auraient permis de la réaliser.

On peut se demander dans quelle mesure cet optimisme, probablement excessif, n’est pas une projection de son expérience en Europe sur un monde très différent. Il n’empêche ! Diplomate chevronné, James Dobbins nous offre un témoignage de première main et de précieuses réflexions sur près d’un demi-siècle de politique étrangère américaine. Il rappelle, ce faisant, l’utilité d’un département d’État marginalisé et même dénigré par l’actuel président.

Pierre Melandri

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