Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Williamson Murray, America and the Future of War: The Past as Prologue (Hoover Institution Press, 2017, 224 pages).

Williamson Murray est un auteur bien connu des amateurs d’histoire militaire. Il a écrit ou dirigé de très nombreux ouvrages considérés comme des références. On pense par exemple à Military Innovation in the Interwar Period (1996), ou à son récent volume sur la guerre de Sécession, A Savage War: A Military History of the Civil War (2016). Son nouvel essai diffère de ses précédents livres. Il s’agit d’une charge contre les responsables politiques et militaires américains, et une bonne partie du monde académique du pays, qui semblent ignorer que l’avenir de la guerre sera à l’image de son passé, sanglant et imprévisible.

La démarche qui a conduit l’auteur à prendre la plume est intéressante. Invité par l’état-major interarmées américain à assister à une conférence de présentation d’un document sur l’environnement opérationnel 2035 (Joint Operating Environment 2035), Murray est marqué par la platitude des propos et l’absence de références à de possibles changements violents. Il conçoit alors le présent ouvrage comme une alternative à cette publication officielle afin de suggérer quelques vérités, et d’aider les armées ­américaines à mieux préparer l’avenir.

L’auteur rappelle utilement que l’analyse de tendance, lorsqu’il s’agit de réfléchir à l’avenir, est trompeuse. L’histoire du monde est d’abord faite de ruptures, souvent violentes, toujours imprévisibles. L’interdépendance croissante des économies ne signifie pas la fin de la guerre, tant la force sous-tend les relations entre États. Il revient ensuite sur la nature de la guerre. Contrairement à ce que certains zélateurs de la technologie pensent, sa nature n’a pas changé et ne changera pas. En effet, des interactions humaines complexes sont en jeu dans la guerre. Elles impliquent un nombre considérable de décisions et d’événements. La friction, l’inattendu, la chance, sont des éléments irréductibles du phénomène guerrier. Bien entendu, le caractère de la guerre évolue. Murray explique ainsi que nous sommes entrés dans la sixième révolution militaro-sociale, celle des ordinateurs, de la communication et des médias sociaux. Il souligne aussi que personne ne peut à ce jour appréhender globalement les effets que cette révolution aura sur l’art de la guerre.

L’auteur axe une partie de son propos sur l’analyse des problèmes américains. Dans un passage très inspiré, il affirme d’abord que la guerre nécessite une préparation intellectuelle poussée, en particulier dans les disciplines académiques, ce qui est loin d’être le cas pour l’élite militaire américaine actuelle. Ensuite, la sclérose croissante de la bureaucratie militaire et du renseignement, tout comme des règles d’engagement trop contraignantes, sont dénoncées. Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur s’attarde sur les États-Unis et la guerre future, en revenant notamment sur la grande dépendance des forces armées américaines vis-à-vis de l’espace et du cyber, ou sur le manque de bases logistiques avancées si des déploiements devaient avoir lieu.

Au final, cet essai, écrit avec brio et qui fait appel à des références historiques intéressantes, suscite la réflexion et amène à relativiser certaines idées reçues. Toutefois, la vision critique développée par l’auteur mériterait parfois d’être davantage illustrée et étayée.

Rémy Hémez

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