Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Terence Roehrig, Japan, South Korea, and the United States Nuclear Umbrella: Deterrence after the Cold War (Columbia University Press, 2017, 272 pages).

L’accélération des progrès de la Corée du Nord dans les domaines nucléaire (sixième essai en septembre 2017) et balistique (84 essais entre 2014 et 2017 dont, fin 2017, des missiles inter­continentaux), a remis sur le devant de la scène le débat sur la dissuasion nucléaire en Asie du Nord-Est, et plus particulièrement en Corée du Sud et au Japon. Le livre de Terence Roehrig s’inscrit dans ce contexte, et s’impose comme une synthèse complète et utile.

Professeur au Naval War College (Newport, États-Unis) et auteur de plusieurs livres sur la Corée du Sud (dont, en 2007, l’excellent From Deterrence to Engagement: The U.S. Defense Commitment to South Korea), l’auteur est un fin connaisseur des questions stratégiques en Asie orientale. Il se concentre ici sur la problématique du « parapluie nucléaire » offert par les États-Unis au Japon et à la Corée du Sud, c’est-à-dire l’engagement pris par Washington d’utiliser son arsenal nucléaire pour dissuader et, si nécessaire, répondre à une attaque contre l’un de ses deux alliés. L’auteur revient au fil des chapitres sur les théories de la dissuasion et de la dissuasion élargie, offre des perspectives historiques en rappelant l’état de ces questions pendant la guerre froide, et analyse les menaces principales que constituent la Chine et la Corée du Nord. Deux chapitres sont aussi consacrés à l’étude de la conception élargie qu’a chacun des alliés de la dissuasion.

La thèse de l’auteur est claire. Les États-Unis ont les capacités nécessaires pour tenir leur engagement. La vraie question est de savoir s’ils en ont la volonté. S’il fait peu de doutes que Washington défendrait ses deux alliés s’ils étaient attaqués, il est fort probable que la première réponse n’inclurait pas l’utilisation d’armes nucléaires. En effet, leur impact de destruction extrême, le coût de leur emploi en termes de réputation internationale pour les États-Unis, et la complexité que la contamination ajouterait à d’éventuelles opérations militaires ultérieures, restreignent fortement l’intérêt d’utiliser ces armes. De plus, dans le cas où le pays visé aurait la faculté de frapper le territoire américain, se poserait un dilemme bien connu : « Les États-Unis seraient-ils prêts à sacrifier Los Angeles pour Séoul ou Tokyo ? » Roehrig rappelle aussi que la taille et la qualité des moyens militaires conventionnels américains font qu’ils pourraient avoir des effets stratégiques comparables à ceux des armes nucléaires, leur usage étant plus crédible. Pour autant, retirer l’engagement de dissuasion élargie au profit de Tokyo et Séoul marquerait une rupture diplomatique et politique majeure peu souhaitable. Une de ses conséquences principales serait sans doute l’acquisition d’un arsenal nucléaire par le Japon et la Corée du Sud, deux pays dits « du seuil nucléaire ».

Ce livre aide à mettre en perspective les engagements de défense des États-Unis au profit du Japon et de la Corée du Sud. Roehrig nous offre une analyse très structurée, faisant le lien entre histoire, théorie, analyse de la menace, études de cas et stratégie. Il passionnera tous ceux qui s’intéressent aux questions de défense en Asie du Nord-Est.

Rémy Hémez

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