Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°3/2018). Thomas Pierret propose une analyse de l’ouvrage de Nikolaos van Dam, Destroying a Nation: The Civil War in Syria
(I. B. Tauris, 2017, 336 pages).

Destroying a Nation se situe à mi-chemin entre introduction accessible à la crise syrienne et essai critique des politiques occidentales vis-à-vis du conflit. La première partie du livre, qui propose un arrière-plan historique faisant une large part à la question confessionnelle, est la plus convaincante. En comparaison, le traitement du conflit actuel dans les deuxième et troisième parties laisse une impression plus mitigée. Certes, van Dam ne prétend pas offrir un récit exhaustif et définitif, mais on aurait souhaité plus de rigueur à plusieurs égards.

Premièrement, plusieurs tournants majeurs du conflit sont mentionnés sans être datés, comme la suspension de la Syrie par la Ligue Arabe en novembre 2011, ou la prise par les rebelles de postes-frontières avec la Turquie en juillet 2012. Deuxièmement, l’ouvrage réduit l’opposition dite « de l’intérieur » aux organisations tolérées dans les territoires du régime, excluant donc les multiples structures révolutionnaires civiles, tels les conseils locaux, opérant en zones rebelles. Troisièmement, évoquant les massacres de civils sunnites de 2012-2013, notamment à Houla, van Dam ne désigne pas de coupable et se retranche derrière deux ouvrages accusant respectivement le régime et les rebelles. Or, la responsabilité des forces d’Assad dans ces massacres est établie par des rapports de l’Organisation des Nations unies (ONU) et d’organisations internationales de défense des droits de l’homme. En outre, l’« étude » présentée par van Dam à l’appui de la thèse d’opérations menées sous fausse bannière par des rebelles est tirée d’un site conspirationniste où il est par ailleurs question d’Illuminati, de chemtrails et d’arguments contre la vaccination…

La thèse qui sous-tend l’ouvrage ne convainc qu’à moitié. Certes, ses prémisses paraissent inattaquables. Vu l’étroitesse de sa base confessionnelle alaouite, affirme van Dam, le régime Assad était incapable se réformer, et ne pouvait que réagir violemment à la contestation et refuser tout compromis pour un règlement diplomatique. Les demi-mesures des Occidentaux, qui soutinrent les demandes maximalistes de l’opposition sans lui donner les moyens de l’emporter militairement, ne pouvaient donc qu’échouer. La conclusion de van Dam semble toutefois paradoxale : il estime qu’il aurait fallu chercher une solution de compromis par le dialogue en maintenant ouverts les canaux diplomatiques officiels avec Assad et en s’abstenant de demander sa démission. L’auteur n’esquisse pourtant jamais les contours de la « solution politique » qu’eut favorisé le dialogue avec un régime qu’il reconnaît lui-même congénitalement réfractaire à la réforme.

Il n’était pas réaliste d’attendre d’Assad qu’il négocie sa propre disparition politique, répète van Dam. Certes, mais tel n’était pas l’objet de la conférence de Genève 1 de juin 2012, qui consistait non à négocier mais à imposer une transition par consensus des grandes puissances – le refus de la Russie de spécifier le sort du président syrien dans le communiqué final signant l’échec de la conférence et la désuétude du processus. L’auteur, qui passe vite sur cette initiative, rétorquerait sans doute qu’il faut l’évaluer à l’aune de ses résultats, inexistants. Elle fut pourtant, à notre sens, la seule tentative sérieuse d’explorer une troisième voie entre un dialogue futile avec Assad et une solution militaire qui a fini par s’imposer à son profit.

Thomas Pierret

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