Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère
(n° 3/2019)
. Agathe Demarais propose une analyse de l’ouvrage de Julien Vercueil, Économie politique de la Russie, 1918-2018 (Seuil, 2019, 368 pages).

Réaliser une synthèse claire de l’économie politique de la Russie au cours des cent dernières années n’a rien d’aisé. L’ouvrage de Julien Vercueil, professeur de sciences économiques à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), relève ce défi et comble une lacune en proposant le premier livre en langue française consacré à ce sujet.

Le récit, organisé en quatre chapitres, suit un découpage chronologique. Le premier chapitre présente les paradoxes entre les principes de l’économie soviétique planifiée et leur difficile mise en pratique, laquelle a conduit inexorablement vers la mise en œuvre de la perestroïka. Le second chapitre met en lumière les difficultés rencontrées lors de la transition à marche forcée vers une économie de marché. Cette période, souvent mal connue, est celle durant laquelle la puissante minorité oligarchique actuelle a pu émerger par le biais de privatisations massives.

Le troisième chapitre présente la « décennie brillante » qui a suivi le défaut du 17 août 1998, marquée par une accélération de la croissance mais aussi une hausse des inégalités. Enfin, le dernier chapitre revient sur les turbulences récentes, telles que la crise financière de 2009, les sanctions occidentales suite au conflit ukrainien, et les difficultés de la Russie à s’insérer dans l’économie mondiale.

L’intérêt de cet ouvrage est qu’il éclaire les liens étroits qui existent en Russie entre les sphères politique et économique. L’étude de l’impact (économique) des sanctions occidentales imposées à la Russie à partir de 2014 (pour des motifs géopolitiques) constitue une excellente illustration de la validité de cette approche.

Fait rare pour un économiste, Julien Vercueil envisage que les comportements des agents économiques sont plus souvent le fait d’une réaction au contexte dans lequel ils sont plongés que d’une recherche sans faille d’optimisation. Ce paradigme s’avère particulièrement pertinent dans la section consacrée à l’évaluation de l’impact économique et social de la « Grande Transition », durant laquelle l’inquiétude de la population russe face aux soubresauts d’alors a eu un impact majeur en termes de santé publique et de démographie.

Cet ouvrage propose des solutions aux défis auxquels la Russie se trouve confrontée. Après avoir présenté la récente mise en œuvre par le pouvoir russe d’une politique de substitution aux importations (en réponse aux sanctions internationales), Julien Vercueil soumet l’idée que la Russie devrait plutôt envisager une politique de substitution aux exportations d’hydrocarbures. Un tel projet permettrait de répondre à la faible diversification d’une économie russe dépendante des matières premières. Cependant, la mise en œuvre d’une telle politique demeure irréaliste compte tenu du faible taux d’investissement, de la prépondérance des entreprises pétrogazières et de l’absence de culture entrepreneuriale au sein de la population.

La conclusion de ce livre repose sur l’idée que les difficultés de la Russie à s’insérer dans les circuits économiques internationaux sont le résultat d’un siècle de tâtonnements du pouvoir russe. Coincée entre l’Union européenne, avec laquelle les relations sont au plus bas depuis 2014, et la Chine, qui inspire une grande méfiance au Kremlin, la Russie se trouve, comme souvent, à la croisée des chemins. La lecture de l’ouvrage de Julien Vercueil est recommandée à ceux qui s’intéressent aux racines historiques et politiques des défis de l’économie russe, et à sa capacité à s’adapter au monde de demain.

Agathe Demarais

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