Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2020). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Patrick Artus, Discipliner la finance (Odile Jacob, 2019, 208 pages), et celui de Walter Mattli, Darkness by design. The Hidden Power in Global Capital Market (Princeton University Press, 2019, 264 pages).

Depuis la crise de 2008, de nombreux travaux ont mis en cause le poids exorbitant de la finance dans nos sociétés. Les livres de W. Mattli et P. Artus (respectivement professeur à Oxford et chef économiste de Natixis) s’inscrivent dans cette tendance, mais avec des approches différentes.

W. Mattli étudie la structure et la composition du New York Stock Exchange (NYSE). Il montre comment la principale Bourse américaine a longtemps été composée de maisons de courtage de taille modeste, préoccupées avant tout par leur réputation. Leur mode de gouvernance reposait sur une véritable éthique, un contrôle rigoureux des opérations de Bourse, et une réelle capacité à lutter contre les conflits d’intérêts.

L’autorisation accordée aux grandes banques de devenir membres du NYSE en 1971 marque un vrai changement de paradigme. Les établissements financiers renforcent leur emprise sur la Bourse new-yorkaise, avant de l’affaiblir en exécutant, en interne, les ordres de Bourse de leurs clients. Le NYSE réplique en relâchant ses règles de gouvernance. Le résultat est un dysfonctionnement croissant des marchés financiers américains. Depuis la décennie 2000, les conflits d’intérêts s’aggravent, les prix de marché sont manipulés et, du fait des nouvelles technologies (telles que le trading haute fréquence, THF), les asymétries d’information se multiplient au profit des plus gros investisseurs. Le pouvoir de sanctions limité des régulateurs ne permet pas de réduire les comportements délinquants.

L’ouvrage de P. Artus constitue le complément et le prolongement macro-économique de l’analyse de W. Mattli. Couplées au phénomène de globalisation financière, la dérive de la finance américaine et sa concentration entre les mains de quelques banques systémiques ont profondément déstabilisé l’économie mondiale. La volatilité et la procyclicité des mouvements de capitaux n’ont cessé de s’accroître. Les effets de contagion en cas de crise financière ont été exacerbés. L’interdépendance des économies américaine et chinoise a abouti à une circulation inefficace des capitaux, les réserves de change chinoises servant à acheter des placements sans risque comme les bons du Trésor américains.

Même si la taille de la finance dite complexe (produits structurés et dérivés) s’est réduite depuis dix ans, les dettes publiques et privées, aussi bien que les capitalisations boursières, ont, elles, continué de gonfler. L’une des principales causes est la poursuite de politiques monétaires expansionnistes par les banques centrales occidentales, japonaise et chinoise. Une dépression majeure a pu être évitée, mais le système monétaire et financier international apparaît très fragile.

Les solutions avancées par les deux auteurs consistent à mettre quelques grains de sable dans la finance internationale. W. Mattli défend la limitation et la taxation du THF, la concentration des Bourses et le durcissement de leur régulation, l’alourdissement des sanctions et peines infligées aux financiers voyous. Pour P. Artus, il faudrait un recours modéré aux contrôles de capitaux, des politiques monétaires plus contra-cycliques et une taxation des instruments financiers les plus liquides. Ces propositions vont dans le bon sens, mais ignorent le problème des banques too big to fail.

Norbert Gaillard

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