La rédaction de Politique étrangère vous offre à (re)lire des textes qui ont marqué l’histoire de la revue. Nous vous proposons aujourd’hui un article de Eugen Gerstenmaier, intitulé « La réforme de l’OTAN et le système de sécurité du monde libre », et publié dans le numéro 4/1964 de Politique étrangère.

« Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre,… à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage et à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales… avons décidé d’associer nos efforts. »

Telles sont les idées essentielles qui ont présidé à la naissance de l’organisation des Nations Unies en juin 1945. Elles trouvent leur explication dans la lassitude, la crainte de nouvelles guerres, ainsi que dans la constatation que le monde, en dépit de ses divergences, tend de plus en plus vers l’unité. Roosevelt, concevant à sa manière cette nouvelle interdépendance, chercha à en établir le programme. Malheureusement, l’Organisation des Nations Unies et son Conseil de Sécurité ne s’avérèrent pas l’instrument capable de supprimer ou d’atténuer la tension croissante entre les Etats communistes et le monde libre. D’où la profonde déception qui suivit les espoirs placés dans les Nations Unies. Devant l’agressivité effrénée du communisme mondial sous la conduite de Moscou, il devenait indispensable de doter le monde libre d’un système de sécurité efficace.

I

L’O.T.A.N. est le plus important des pactes régionaux conclus dans le cadre de ce système, dont les Etats-Unis sont les principaux artisans. C’est dans ce même cadre que figurent l’O.T.A.S.E. et le C.E.N.T.O., le Pacte de sécurité entre les Etats-Unis et le Japon, ainsi que l’engagement des Etats-Unis en Corée sous le drapeau des Nations Unies. En termes de politique occidentale, ce système, non fermé sur lui-même, est la conséquence pratique de la politique de containment qui a triomphé assez facilement du roll back, du refoulement plus ou moins violent du communisme mondial hors des positions conquises après la guerre par la force ou par la ruse. Cette politique de l’endiguement a tenu bon aussi contre toutes les tentatives de la remplacer par une politique de dégagement.

Lorsque fut signé, le 4 avril 1949, le Traité de l’Atlantique Nord, il n’y avait pas encore de République Fédérale d’Allemagne, mais le partage du monde en deux blocs était peut-être plus évident qu’aujourd’hui, quinze ans plus tard. Les changements considérables qui sont intervenus au cours de ces 15 années ne peuvent passer inaperçus, et l’on ne saurait sous-estimer leurs incidences sur l’évolution et éventuellement sur la transformation de l’O.T.A.N. N’empêche que la politique du monde libre, ou tout au moins sa politique de sécurité, continue de s’inspirer du principe politico-militaire de l’endiguement.

A l’occasion d’une rencontre à Tokyo, George Kennan, qui a introduit la notion de containment dans la politique mondiale et a pris part à la création de l’O.T.A.N., me confirmait récemment qu’à l’époque, Washington ne visait qu’à doter le monde libre d’un système de sécurité militaire moderne, qui fût à même de garantir la sécurité de l’Europe jusqu’au « rideau de fer ». L’édifice que les Américains avaient tout d’abord en vue était simple. Il ne s’inspirait pas des idées modernes d’intégration qui animaient à cette époque le Mouvement Européen, mais plutôt des alliances traditionnelles.

Il se peut que les idées d’intégration européenne aient amené les Américains à préférer une association globale des Européens au sein de l’O.T.A.N. à un contrat passé individuellement avec chacun des Etats membres européens. Mais en admettant même qu’il en fût ainsi, ces idées n’aboutirent à aucun résultat tangible. C’est pourquoi l’échec de la Communauté Européenne de Défense, quelques années plus tard, n’eut aucune incidence sur l’O.T.A.N. elle-même. On peut avancer que si la C.E.D. avait vu le jour, nous aurions pu faire ces dernières années l’économie de quelques efforts et de quelques malentendus, et bien entendu, les suggestions que je me permets de faire ici quant à la réforme de l’O.T.A.N., seraient superflues, car dans l’intervalle, cette Organisation aurait certainement évolué. L’une des conséquences de l’échec de la C.E.D. fut l’adhésion immédiate de la République Fédérale à l’O.T.A.N. il y a dix ans. Une autre conséquence fut que l’O.T.A.N. représente, du moins juridiquement jusqu’à ce jour, un système de sécurité qui s’inspire des alliances traditionnelles de l’Etat national souverain. En fait, l’O.T.A.N. est devenue, sur le plan militaire, une organisation intégrée qui représente un progrès considérable sur les alliances militaires des 150 dernières années. Cela tient sans doute à la politique des blocs, mais cela s’explique aussi par les impératifs militaires, notamment par le développement des armes atomiques. Il va de soi que les incidences sur la politique générale de chacun des partenaires de l’alliance devaient être considérables et provoquer des remous. En vue d’harmoniser ces politiques, les trois sages recommandèrent en 1956 que les consultations politiques dans le cadre de l’O.T.A.N. deviennent « partie intégrante de la politique nationale des Etats membres ». Dans la pratique, on est resté certes bien en deçà de ces vœux et de ces exigences, mais il n’empêche que, depuis 1956, les consultations ont pris constamment plus d’ampleur et d’intensité.

Pour les Allemands, en tout cas, l’O.T.A.N. est aujourd’hui qualitativement différente des instruments et modèles de la politique traditionnelle d’alliances. Cette impression est due notamment au fait que chaque division allemande, dès sa formation, est placée automatiquement sous le commandement de l’O.T.A.N. et du même coup soustraite à l’autorité directe du gouvernement fédéral.

Il a fallu les tensions surgies ces deux dernières années au sein de l’alliance pour faire prendre conscience à l’observateur allemand qu’en fait, de par sa structure, l’O.T.A.N. ne peut être comparée aux institutions de l’Europe intégrée. Ces derniers temps, on s’est néanmoins habitué de plus en plus en Allemagne à appliquer à l’O.T.A.N. les critères d’intégration plutôt que ceux des systèmes d’alliances des décennies précédentes. C’est important, au moins sur le plan psychologique, si l’on étudie l’opinion allemande sur les rapports entre la France et l’O.T.A.N. Ceux qui en Allemagne critiquent la politique française vis-à-vis de l’O.T.A.N. ont trop tendance à juger en termes d’intégration, sans se rendre compte que, de par son organisation et son origine, l’O.T.A.N. a une structure différente. Dans les rapports actuels entre la France et l’O.T.A.N., certains ne veulent voir que l’expression de la réserve personnelle de l’actuel chef de l’Etat français à l’égard de tout ce qui est intégration et leadership américain. On oublie généralement que l’attitude du gouvernement français vis-à-vis de l’O.T.A.N. s’explique aussi par des raisons tout à fait différentes, par des motifs qui sont à chercher dans révolution de la politique mondiale et dans le progrès des armements.

Je me permettrai de signaler les quelques points qui sont à l’origine de certaines critiques :

1 — La trop grande différence dans le comportement des Etats membres en ce qui concerne l’affectation de leurs unités db combat au commandement de l’O.T.A.N. Tandis qu’un partenaire de l’alliance assigne davantage de troupes à SACEUR, un autre retire des effectifs. La raison profonde en est que les uns considèrent que le système d’intégration est superflu, tandis que d’autres partenaires de l’O.T.A.N. estiment que l’intégration militaire dès le temps de paix est la condition d’un fonctionnement rapide en temps de guerre. […]

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