Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne de Politique étrangère (n° 3/2020). Laurence Nardon, responsable du Programme Amérique du Nord de l’Ifri, propose une analyse croisée des ouvrages de Célia Belin, Des Démocrates en Amérique. L’heure des choix face à Trump (Fayard, 2020, 288 pages) et de Mathieu Magnaudeix, Génération Ocasio-Cortez. Les nouveaux activistes américains (La Découverte, 2020, 288 pages).

Alors que l’hypothèse d’une victoire du candidat démocrate en novembre 2020 n’est plus à exclure, deux ouvrages nous renseignent utilement sur les évolutions récentes de la gauche américaine.

Dans le premier, Célia Belin, chercheuse française à la Brookings Institution, combine travail universitaire et enquête de terrain. Elle développe son analyse, déjà présentée dans Le Débat en février 2020, d’un électorat démocrate engagé sur différents objectifs, sans doute complémentaires : pour les partisans des radicaux Elizabeth Warren ou Bernie Sanders, il faut reconquérir les classes moyennes séduites par Donald Trump, en remettant la lutte contre les inégalités au cœur du projet démocrate. La gauche progressiste met, pour sa part, l’accent sur une défense systémique des minorités raciales et sexuelles. Les centristes, quant à eux, cherchent à réformer les institutions, à la fois pour réconcilier une opinion publique par trop polarisée, et pour que les futures élections ne puissent être « volées » par les Républicains, comme le fut celle de 2016. Enfin, nombre d’électeurs démocrates se concentrent sur l’unique objectif de battre Trump en novembre prochain, et se limitent pour cela à des calculs tactiques : trouver le meilleur candidat, la meilleure vice-présidente, faire campagne plutôt dans la région des Grands Lacs ou plutôt au Sud. Ces excellentes analyses sont nourries des échanges et des observations que l’auteur a pu glaner dans ses déplacements lors des primaires démocrates au printemps 2020.

Mathieu Magnaudeix, correspondant de Médiapart aux États-Unis, s’intéresse, lui, aux militants de la gauche du parti. Chaque chapitre de son ouvrage fait le récit d’une rencontre avec les activistes d’une cause particulière, souvent jeunes mais parfois vétérans. Égérie de cette mouvance, élue en novembre 2018 à la surprise de l’establishment démocrate, Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) voit son parcours retracé en détail. Lui succèdent les portraits de militants de la cause afro-américaine, autour du mouvement Black Lives Matter ; d’activistes écologistes, notamment ceux d’Extinction Rebellion ; de féministes, dont les organisatrices de la Marche des femmes de janvier 2017 ; de soutiens aux migrants et réfugiés illégaux aux États-Unis ; de militants queer liés à la cause LGBT ; de partisans d’une refondation économique totale, dans la lignée du mouvement Occupy Wall Street de 2011…

Puisque les différents types de discrimination se croisent comme à un carrefour (intersection) pour chaque individu, il faut lutter pour toutes les causes en même temps : c’est la logique de la théorie de l’« intersectionalité ». Clairement militant, l’ouvrage de Magnaudeix souligne la vigueur, mais aussi l’optimisme, de ces différents mouvements, et présente en annexe trois modes d’emploi pour organisateurs de mouvements sociaux – fort utiles pour qui voudrait faire la révolution…

Ce que l’on conclut de ces deux lectures, c’est à quel point le projet de mondialisation libérale auquel les Démocrates adhèrent depuis les années 1980 bat désormais en retraite devant la demande de justice sociale émanant de la gauche du parti. Si Joe Biden est élu, il sera sommé par cette catégorie d’électeurs de mettre fin au nouveau gilded age (la période de grandes inégalités et de corruption des années 1870-1900) que connaissent les États-Unis aujourd’hui.

Laurence Nardon

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