Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2020-2021 de Politique étrangère (n° 4/2020). Dominique David, rédacteur en chef de Politique étrangère, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Paul Dahan, Prévoir le monde de demain (CNRS Éditions, 2020, 328 pages).

Il s’agit de « resserrer l’incertitude ». L’expression de Thierry de Montbrial, qui ouvre ces pages, rappelle à la modestie les multiples démarches générées par l’angoisse de l’avenir – ici dans le domaine de l’action publique. L’anticipation, la prévision, la prospective ont, l’une après l’autre ou concurremment, selon les temps, tenté d’apaiser cette angoisse : l’ouvrage dirigé par Paul Dahan a le mérite de poser toutes les méthodes sur la table, sous le signe de la prévision.

Une première partie s’intéresse aux approches et aux acteurs de la prévision:
définitions, champs d’action, méthodes. Du texte d’ouverture de Thierry de Montbrial, on retient trois remarques délimitant tout exercice de prévision : la prévision s’appuie, ensemble, sur l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse, elle est donc, comme la stratégie, un art et non une science ; l’histoire est faite de non-linéarités, or l’esprit humain s’inscrit spontanément dans des dynamiques de continuité ; et l’on a toujours tendance à voir les changements de court terme comme des ruptures, ces dernières ne se concrétisant en réalité que dans un long terme par définition impensable. Serge Sur clarifie la distinction entre les trois notions d’anticipation – imagination de l’avenir –, de prévision – opinion sur un futur –, et de prospective – recherche permettant de dégager des éléments de prévision. Et Paul Dahan suit le passage des temps du devin, du prophète et du mage à ceux de l’anticipation rationnelle.

Un deuxième ensemble de textes s’attache à la « prévision appliquée », à travers les institutions – une juste place étant faite au Centre d’analyse et de prévision (CAP) du Quai d’Orsay sans, curieusement, que soit étudié le Centre de prospective et d’évaluation (CPE) de la Défense –, puis par secteur : économie, diplomatie, en matière de défense ou de renseignement. Enfin, on suit quelques heurs et malheurs concrets de la prévision, laquelle dépend toujours de ce qu’on cherche à prévoir – et donc de la vision, inéliminable, que le prévisionniste a de son présent ; ainsi que de l’échelle de temps projetée : en matière de défense, elle doit être de très long terme en raison du poids des programmes techniques, et de très court terme pour faire face à la réactivité des acteurs sur le terrain. On s’interroge également sur les méthodes techniques nouvelles susceptibles de donner à la prévision une ampleur, peut-être une efficacité, inédites : par exemple l’Intelligence artificielle.

L’ouvrage dirigé par Paul Dahan retient l’attention par son voyage autour d’ancestraux fantasmes de maîtrise et de construction de l’avenir ; par son passage en revue des méthodes mises en œuvre pour mieux lire (conjurer ?)
l’avenir, de la divination à l’Intelligence artificielle ; enfin par l’étude de réactions administratives variées au problème posé par l’incertain avenir.

Le bilan est rassurant : la percée sur l’avenir n’est pas pour demain. Les manettes sont innombrables, les résultats le plus souvent convenus, ou
médiocres. La réflexion sur la prévision a de beaux jours devant elle – comme notre ignorance du futur. Autrement dit : il est légitime de vouloir prévoir l’avenir si l’on sait la tâche impossible. On se consolera avec le beau florilège de citations qui clôt l’ouvrage, dont deux au moins sont à méditer : « Une erreur peut devenir exacte, selon que celui qui l’a commise s’est trompé ou non. » (Pierre Dac) « Il faut se préparer au pire, espérer le mieux, et prendre ce qui vient. » (Confucius)

Dominique David

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