Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps 2021 de Politique étrangère (n° 1/2021). Sina Schlimmer, chercheuse au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Kathleen Klaus, Political Violence in Kenya: Land, Elections, and Claim-Making (Cambridge University Press, 2020, 374 pages).

Kathleen Klaus propose un ouvrage empiriquement riche, croisant l’analyse des relations foncières, de la compétition électorale, de la sociologie des mobilisations et des régimes politiques au Kenya.

Les élections générales de 2007 constituent le point de départ de l’ouvrage : Raila Odinga, le candidat du parti d’opposition Orange Democratic Movement, conteste la réélection du président sortant, Mwai Kibaki (Party of National Union). Odinga appelle alors l’opposition à se mobiliser en masse, ce qui se traduit par des violences dans les zones rurales, et urbaines provoquant la mort de 1 500 personnes et le déplacement de 600 000 autres.

Si l’auteur articule deux objets de recherche complexes, les violences électorales et la politisation des régimes fonciers, elle formule une question simple à laquelle répondent les huit chapitres : pourquoi des mobilisations violentes avant, pendant et après les élections s’observent-elles dans certaines localités et non pas dans d’autres ? Elle argumente que la violence électorale est une production conjointe entre les objectifs politiques des élites et les préoccupations de citoyens dits ordinaires.

L’ouvrage met la focale sur les dynamiques locales, se distinguant ainsi des travaux qui décrivent les violences électorales comme un phénomène national. Il compare le déroulement des événements post-électoraux dans différentes circonscriptions dans la région de la Vallée de Rift (Nakuru et Uasin Gishu) – où se sont concentrées les violences autour des élections en 2007-2008 – et dans la région de la Côte (Kwale et Kilifi) où la situation a été plutôt calme.

D’où la conclusion : la violence électorale est susceptible d’éclater d’abord lorsque deux communautés ethniques avoisinantes disposent de différents degrés de sécurité et de droits financiers. Sur cette inégalité, les communautés construisent, deuxièmement, des « discours fonciers contentieux » désignant l’autre groupe ethnique comme étant à l’origine de l’insécurité foncière. Ces rivalités ethniques exacerbées par la crainte de perdre l’accès aux terres sont exploitées par les candidats lors des campagnes électorales dans une logique de patronage.

En combinant un regard historique et une analyse fine des relations contemporaines entre gouvernants et gouvernés, cette recherche présente à juste titre les rapports au foncier comme l’épine dorsale de la (trans)formation de l’État et de la vie politique au Kenya.

Le travail de Klaus ne se limite pourtant pas à l’analyse des politiques foncières. Son ouvrage cherche à alimenter plusieurs corpus, y compris sur les mobilisations électorales, sur les dynamiques ethniques et, plus généralement, sur la trajectoire historique du régime politique kenyan. Si cette approche lui permet d’écrire un livre pouvant intéresser un large public, elle en rend la lecture parfois fastidieuse, notamment lorsque la richesse des matériaux empiriques paraît se perdre dans l’argumentation théorique.

Si l’ouvrage offre une lecture complète de l’histoire des relations entre la lutte pour les votes et la politisation du foncier au Kenya, il reste à savoir si la décentralisation des fonctions publiques vers les comtés, en cours depuis l’adoption de la Constitution de 2010, corrobore ces résultats, ou invite plutôt à les repenser.

Sina Schlimmer

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