Cette recension a été publiée dans le numéro d’été 2021 de Politique étrangère (n° 2/2021). Mary-Françoise Renard propose une analyse de l’ouvrage de Yukyung Yeo, Varieties of State Regulation: How China Regulates Its Socialist Market Economy (Harvard University Press, 2020, 220 pages).

Les déboires de Jack Ma rappellent qu’aucune entreprise, d’État ou privée, ne peut s’émanciper d’une régulation par le Parti communiste dans un pays où la propriété d’État, la planification et le parti sont cruciaux. Les modalités de cette régulation ont évolué dans le temps, et cette évolution est ici analysée en s’appuyant sur les variations observées dans le fonctionnement de trois types d’institutions : les droits de propriété, les structures de gouvernance, et les différentes conceptions du contrôle.

Les droits de propriété sont un élément central. La grille de lecture ne doit pourtant pas reposer sur une opposition public-privé, mais plutôt sur les différents niveaux de propriété, notamment central vs. local. Dans un marché donné, différentes institutions peuvent générer différentes formes de régulation. En Chine, la nature et les modalités de l’intervention de l’État sont passées d’un modèle de contrôle arbitraire et discrétionnaire (planificateur) à un modèle fondé sur des règles (régulateur). Des mécanismes de marché ont progressivement été introduits dans l’économie, mais le contrôle du parti ne se limite pas à la conformité des règles ou à la concurrence. Il joue un rôle actif, particulièrement dans les secteurs considérés comme stratégiques, où il s’assure que sa ligne directrice est bien suivie. Le contrôle des entreprises sous l’autorité de l’État central est principalement exercé par la State-Owned Assets Supervision and Administration Commission, mais les entreprises privées n’échappent pas à d’autres formes de contrôle.

Les structures de gouvernance reflètent les règles qui sous-tendent les relations de pouvoir entre les différentes autorités, ainsi qu’entre l’État et les firmes, dans les différents secteurs. Une gouvernance structurée verticalement et centralisée peut être fragmentée horizontalement, avec des chevauchements d’autorité. De même, une gouvernance structurée horizontalement et décentralisée peut avoir différentes relations de pouvoir avec le gouvernement central, en fonction de qui détient le pouvoir de décision. Cette grille de lecture permet de mieux comprendre pourquoi le degré de propriété publique n’est pas le seul déterminant de la régulation en Chine.

Quant aux conceptions du contrôle, elles renvoient à la façon dont s’opèrent les interventions de l’État dans les différents secteurs, ce qui dépend assez largement du contexte historique dans lequel s’est construit chacun d’eux.

Pour illustrer son propos, Yeo propose deux exemples : l’industrie automobile et l’industrie des télécommunications. L’auteur a conduit 102 interviews de cadres de niveau intermédiaire, de gestionnaires d’entreprises publiques et de chercheurs, afin d’identifier incitations et contraintes politiques auxquelles font face les dirigeants. Ce choix permet de comparer deux secteurs stratégiques : le premier très décentralisé fait l’objet d’une régulation soft et le second, très centralisé, d’une régulation hard.

Ce livre est très instructif, agréable à lire, et bien documenté. On regrettera quelques manques de précision dans la prise en compte des différents niveaux hiérarchiques et dans la définition de ce qui est « local ». Mais en se situant comme alternative aux analyses néoclassiques ou purement étatistes, cette approche enrichit la connaissance du fonctionnement de l’économie chinoise.

Mary-Françoise Renard

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