Cette recension a été publiée dans le numéro d’automne 2021 de Politique étrangère (n° 3/2021). Paul Maurice, chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Nicolas Dufourcq, Retour sur la fin de la guerre froide et la réunification allemande (Odile Jacob, 2020, 496 pages).

Trente ans après la réunification allemande, Nicolas Dufourcq revient sur les négociations du traité qui a permis l’unité allemande. Fils du diplomate Bertrand Dufourcq, négociateur pour la France du traité de réunification allemande, il rend ici à ce dernier un bel hommage.

Le livre alterne témoignages, analyses et documents officiels. Des annexes documentaires viennent le clore, notamment des extraits de discours, de Kohl ou Mitterrand, ainsi que des comptes rendus des négociations.

La première partie concerne le traité « 4+2 », format de négociation créé à Ottawa en février 1990. Elle rappelle les grands buts de la négociation : la frontière Oder-Neisse, le renoncement aux armes ABC (Atomique-Biologique-Chimique), le retrait progressif des troupes soviétiques et l’adhésion de l’Allemagne unifiée à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Le premier chapitre est consacré à un récit de la négociation du traité par Bertrand Dufourcq, mis en perspective dans le second chapitre par les déclarations liminaires du 12 septembre 1990 de Hans-Dietrich Genscher, ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne (RFA), et de Lothar de Maizière, Premier ministre de la République démocratique allemande (RDA). Ce qui permet de rappeler le « casse-tête juridique » que représentaient les négociations, en raison des accords quadripartites de Potsdam de l’été 1945, gelés par la guerre froide.

Viennent ensuite des témoignages d’acteurs recueillis par l’auteur au printemps 2020. D’abord ceux de politiques : Hubert Védrine, Jacques Attali, Jean-Pierre Chevènement ou Élisabeth Guigou pour la partie française ; Bob Kimmitt pour la partie américaine ou le conseiller de Margaret Thatcher, Charles Powell. Suivent des témoignages de diplomates, représentants des différentes délégations, jusqu’à celui de Pierre de Boissieu, négociateur du traité de Maastricht, intrinsèquement lié aux négociations sur la réunification allemande.

Pour éviter les écueils liés à la « valeur » des témoignages, partiels et partiaux, Nicolas Dufourcq a fait appel au regard de l’historien Frédéric Bozo. Celui-ci rappelle le rôle indispensable des archives et la nécessité pour l’historien de restituer les événements dans leur ensemble, au-delà des témoignages isolés. Mais il reconnaît également que « ce genre de témoignages continue d’apporter encore jusqu’à aujourd’hui des éléments intéressants, ne serait-ce que parce qu’ils dévoilent des vérités ou des biais jusqu’alors peu apparents ».

Enfin, l’ouvrage consacre son dernier chapitre à l’effondrement de l’URSS, avec notamment la publication d’entretiens datant de 1992. Cette partie est fondamentale, car elle permet de comprendre les tensions, existant encore aujourd’hui, entre le camp atlantiste et la Russie. Les Soviétiques avaient accepté l’entrée dans l’OTAN de l’ex-RDA, dont le territoire a été « dénucléarisé », mais ils ne pensaient pas – et ne souhaitaient pas – que l’OTAN puisse s’étendre un jour à la Pologne et aux États baltes. L’ouvrage laisse penser que certains dirigeants soviétiques, puis russes, espéraient également une politique d’assistance massive et une main tendue des Occidentaux. Leur amertume a conduit à l’éloignement progressif de la Russie. L’ouvrage de Nicolas Dufourcq a le mérite de rappeler les faits, et de souligner les grandes ambiguïtés des partenaires de la négociation.

Paul Maurice

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