Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver 2021-2022 de Politique étrangère (n° 4/2021). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Frank G. Hoffman, Mars Adapting: Military Change during War (Naval Institute Press, 2021, 368 pages).

« L’histoire suggère avec force que plusieurs organisations militaires ont fait mieux que d’autres pour changer, alors que diverses ont échoué. Il serait utile que nous comprenions pourquoi certaines sont meilleures et comment elles surpassent la concurrence. » Voilà l’objectif du dernier ouvrage de Frank G. Hoffman, officier des Marines à la retraite et chercheur à la National Defense University de Washington. L’auteur propose une théorie de l’apprentissage organisationnel, largement développée en introduction et en conclusion, qui s’appuie sur quatre capacités : le leadership, la culture organisationnelle, les mécanismes d’apprentissage et ceux de dissémination.

Pour défendre cette théorie, Frank G. Hoffman étudie quatre cas historiques (hélas tous américains), qui constituent le cœur de l’essai. Le premier est celui de la guerre sous-marine américaine dans le Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale. Les résultats des six premiers mois de la guerre sont très décevants et l’adaptation prend du temps. Certes, les changements tactiques sont rapides, notamment pour évoluer vers des attaques de nuit en surface. Mais alors que la culture organisationnelle de l’US Navy favorise les évolutions techniques, la résolution d’un problème sur les torpilles Mark 14 sera beaucoup plus lente, freinée par le caractère bureaucratique de l’institution.

Le deuxième cas d’étude est celui de la puissance aérienne américaine pendant la guerre de Corée, où l’US Air Force a fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation. Alors qu’au début de la guerre froide, l’appui au sol ne fait pas partie de ses priorités stratégiques, ce type de mission va s’avérer indispensable. Pour s’en acquitter, l’US Air Force doit même reconvertir 187 F-51 Mustang à propulsion à hélice, ou encore utiliser des bombardiers B-29, destinés à des opérations dans la profondeur, contre des cibles tactiques.

Avec le troisième cas, l’auteur établit que, contrairement à ce que de nombreux historiens ont avancé, l’US Army a cherché à se transformer face aux défis rencontrés pendant la guerre du Vietnam de 1965 à 1968. Quelques exemples connus sont le développement de l’assaut par air (Air Assault) ou la mise en place du programme Civil Operations and Rural Development Support (CORDS). Toutefois, l’US Army « n’a pas assez questionné la validité ou l’efficacité de ce qu’elle faisait et a continué à améliorer sa capacité à faire mieux la mauvaise chose […]. »

La dernière étude s’attache aux Marines dans la province d’Al-Anbar, en Irak, de 2004 à 2007. L’adaptation et l’apprentissage ont bien eu lieu. En témoignent la remarquable évolution tactique entre la première tentative de reprise de contrôle de Falloujah en avril 2004 et la deuxième en novembre de la même année, ou les processus menant à davantage utiliser le levier tribal pour sécuriser la province. Pour autant, du fait du manque d’efficacité du commandement pour la diffusion des leçons identifiées, l’ajustement n’a pas été rapide.

En se focalisant sur une théorie de l’apprentissage organisationnel et en mettant particulièrement en valeur le facteur culturel, Frank G. Hoffman apporte une très intéressante contribution à une littérature sur le sujet qui s’est beaucoup développée ces dernières années. L’ouvrage, clair et documenté, est à conseiller à tous ceux qui s’intéressent aux questions d’innovation et d’adaptation dans les conflits armés.

Rémy Hémez

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