Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Barthélémy Courmont propose une analyse de l’ouvrage de Eric Schmitt et Thom Shanker, Counterstrike: The Untold of America’s Secret Campaign against Al Qaeda (Times Books, 2011, 324 pages).

Dans les jours qui suivirent les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se lancèrent dans une « guerre contre le terrorisme » aux multiples conséquences. Dix ans et deux guerres plus tard, la mort d’Oussama Ben Laden offre l’occasion de dresser un bilan de cette gigantesque « contre-attaque », sur laquelle s’attardent ici deux journalistes renommés du New York Times. Eric Schmitt et Thom Shanker insistent sur le caractère brutal de cette contre-attaque et sur la territorialisation de la lutte contre le terrorisme, en Afghanistan puis en Irak.
Les deux journalistes ne se limitent cependant pas à la description des faits ni à une critique de la lutte contre le terrorisme post-11 septembre. Ils opèrent une intéressante comparaison entre la lutte contre Al-Qaida et les théories de la dissuasion élaborées par Thomas Schelling dans les années 1960 et démontrent dans quelle mesure les mécanismes hérités de la guerre froide furent remis au goût du jour et adaptés au nouvel ennemi de Washington. Ils constatent ainsi que la méthode a évolué en une décennie, en particulier après la réélection de George W. Bush et plus encore après l’arrivée de Robert Gates au Pentagone en 2007.
L’erreur des premières années de la lutte contre Al-Qaida fut, selon les auteurs, de trop territorialiser la guerre contre le terrorisme (en Afghanistan puis en Irak), oubliant au passage les fondamentaux, comme le renseignement et l’identification des causes du terrorisme.
On remarque ainsi, au fil des pages, que la coordination de la guerre contre le terrorisme était mal assurée après les attentats de New York et de Washington et surtout qu’il était difficile de savoir qui dirigeait véritablement les opérations, à la Maison-Blanche ou au Pentagone.
Depuis 2005, la lutte contre le terrorisme s’est considérablement adaptée et s’est servie de cette territorialisation, étendue à d’autres pays, pour responsabiliser des États hébergeant des groupes terroristes et ne luttant pas suffisamment activement, selon le Pentagone, contre ce fléau. L’équation, inaugurée sous l’administration Bush et perpétuée après l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, est simple : tout État ne renforçant pas ses dispositifs pour identifier et détruire les cellules terroristes tombe sous le coup d’une nouvelle dissuasion, en étant potentiellement la cible de représailles (celles-ci pouvant être de diverse nature, allant des sanctions économiques à l’usage de la force).
Cette méthode associant main tendue et coercition a radicalement modifié la manière dont le problème du terrorisme transnational est appréhendé à Washington. On peut s’interroger, comme le font E. Schmitt et T. Shanker, sur ses effets dans l’élimination de Ben Laden au Pakistan. Mais on peut également s’interroger sur le risque de voir les groupes terroristes profiter de ces pressions parfois intenables pour des États faillis pour renforcer leur capacité de recrutement de nouveaux membres. En imposant la théorie de la dissuasion dans la lutte contre le terrorisme, les États-Unis mènent un combat global et sans limite. Mais ils jouent également le jeu du terrorisme transnational, qui s’alimente des problèmes rencontrés par des États en difficulté, pris entre la nécessité de renforcer le partenariat avec Washington et une population souvent majoritairement hostile à une présence américaine accrue. En d’autres termes, il est encore trop tôt pour savoir si cette nouvelle dissuasion sera couronnée de succès dans la durée.

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