Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Walter Mathian propose une analyse de l’ouvrage de Jean Pisani-Ferry, Le Réveil des démons : la crise de l’euro et comment nous en sortir (Paris, Fayard, 2011, 228 pages).

Dans la décennie qui a suivi la création de l’euro, l’Europe a semblé durablement immunisée contre les attaques des marchés financiers qui l’avaient déstabilisée au début des années 1990. Depuis 2010, les attaques dont l’euro a été victime, au point de menacer son existence même, ont redonné à la question monétaire une actualité qu’elle semblait avoir perdue. Jean Pisani- Ferry présente les faiblesses congénitales de notre monnaie unique, décrypte l’enchaînement des événements qui ont conduit à la crise de 2010 et propose quelques pistes de sortie de crise.
La création de l’euro était, à la lumière de la théorie économique, un choix risqué, les considérations politiques ayant emporté la décision : elle permettait de mobiliser l’Europe autour d’un projet unificateur à un moment où les forces centrifuges auraient pu l’emporter. Or l’enthousiasme des dirigeants et des peuples européens s’est rapidement émoussé, si bien que le passage effectif à l’euro s’est fait dans une relative discrétion en 1999, sans qu’en soient tirées les conséquences dans la conduite des politiques économiques nationales. Dans la décennie qui a suivi, l’horizon est resté relativement clair, ce qui a temporairement calmé les débats.
La crise financière de 2008 a mis en lumière les déséquilibres macroéconomiques qui s’étaient formés souterrainement : écarts de compétitivité entre les pays du Sud et du Nord, apparition de bulles financières ou immobilières, hausse de l’endettement public et privé. J. Pisani-Ferry décrit avec précision l’enchaînement implacable des événements qui ont suivi, depuis la fameuse « tragédie grecque » qui a commencé en 2010, les inquiétudes de l’été 2011 autour des banques européennes, jusqu’aux débats des mois suivants sur l’organisation et la gouvernance de la zone euro. À ces différentes étapes, les dirigeants européens ont dû réexaminer séance tenante des questions qui avaient été écartées jusqu’alors : faut-il aider les États en difficulté ? Doit-on faire payer les banques au risque de souffler sur les braises de la crise financière ? Jusqu’où faut-il aller dans la surveillance des politiques budgétaires ? Ils ont mené leur réflexion dans l’urgence et sous le regard inquiet du reste de la planète : l’annonce en octobre 2011 par Georges Papandréou de l’organisation d’un référendum sur les réformes économiques imposées par la situation de son pays en restera le moment le plus dramatique.
La zone euro a bénéficié début 2012 d’un relatif apaisement, auquel l’action résolue de Mario Draghi, le nouveau président de la Banque centrale européenne (BCE), a largement contribué. Pour autant, des solutions durables à la crise restent à trouver. L’auteur – c’est là qu’on l’attendait le plus – évoque les options qui font aujourd’hui débat, la principale étant de savoir s’il faut sortir de l’euro. Sans surprise, il s’y oppose en considérant les contraintes juridiques et techniques d’une telle opération ainsi que son coût économique et financier.
Le « choix du démantèlement » étant écarté, J. Pisani-Ferry, dont les convictions pro européennes sont  connues, préconise des avancées parfois radicales dans l’intégration économique de la zone euro. Il n’oublie pas qu’un tel approfondissement devra s’appuyer sur un débat démocratique approfondi, à l’image de celui qui a agité l’Allemagne depuis 2010. Perspective dont il n’ignore pas la difficulté. Comment demander aux peuples européens de faire aujourd’hui et dans l’urgence le saut fédéraliste, alors que chacun des « petits pas » vers l’unification européenne a jusqu’à présent nécessité de longs débats ? Comment convaincre les peuples européens qu’aller plus loin dans l’intégration fournira une réponse aux problèmes que ce processus n’a jusqu’à présent pas résolus ? Les défenseurs éclairés de l’Europe, dont l’auteur fait partie, ne devront pas économiser leurs efforts quand ce débat sera engagé.

Walter Mathian

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