Étiquette : idéologie

L’État islamique pris aux mots

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Philippe Bannier propose une analyse de l’ouvrage de Myriam Benraad, L’État islamique pris aux mots (Armand Colin, 2017, 192 pages).

Dans cet ouvrage, Myriam Benraad choisit une approche encore peu étudiée dans la littérature scientifique francophone pour comprendre l’État islamique (EI) : l’idéologie. Son étude s’appuie sur une analyse fine des supports de propagande de l’organisation, qu’il s’agisse des revues Dabiq, Dar al-Islam ou Rome, ou des vidéos et publications diffusées par ses organes de propagande. Dès lors, ce livre se présente comme une contribution à la compréhension de l’idéologie du groupe djihadiste, alors que les acteurs de la lutte antiterroriste ont pris conscience de l’importance de cette dimension comme complément à la réponse militaire.

The Shadow of the Past. Reputation and Military Alliances before the First World War – Militarism in Global Age

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Jérôme Marchand propose une analyse des ouvrages de Gregory D. Miller, The Shadow of the Past. Reputation and Military Alliances before the First World War, (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2012, 248 pages) et de Dirk Bönker, Militarism in Global Age. Naval Ambitions in Germany and the United States before World War I (Ithaca, NY, Cornell University Press, 2012, 432 pages).

ShadowBien qu’ils couvrent la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle, ces deux ouvrages ne sont en rien de simples chroniques du temps passé. Leurs auteurs ont exploité une masse considérable d’archives, de témoignages et d’analyses. Pour autant, ils ne se sont pas contentés de bricoler un récit restituant les interrogations des grandes puissances de la Belle Époque. Ils ont aussi su mobiliser un appareil conceptuel sophistiqué, faisant place aux questionnements récents des sciences sociales. The Shadow of the Past, de Gregory D. Miller, examine le rôle que tient la réputation dans la gestion des rapports interétatiques, avec un intérêt particulier pour l’impact de la fiabilité (« Vu ses agissements passés, tel État-nation paraît-il enclin à tenir ses engagements ou à les renier ? ») sur la formation et l’évolution des alliances militaires. Concrètement, l’auteur passe en revue l’abandon par la Grande-Bretagne de sa politique de splendide isolement (1901-1905), la crise de Tanger (1905-1906), la crise bosniaque (1908-1909) et la crise d’Agadir (1911). L’impression d’ensemble ? L’ouvrage brasse quantité de réflexions théoriques. Il esquisse des pistes stimulantes pour appréhender le capital réputationnel des entités étatiques – pas d’analyse pointue si on ne prend soin de différencier l’image du régime, celle des dirigeants gouvernementaux en place et celle du parti dominant – et conceptualiser les grilles d’évaluation déterminant leur pouvoir d’attraction et leur palette de partenaires potentiels. Cependant, Gregory Miller a éprouvé beaucoup de difficultés à se dégager de l’emprise de Jonathan Mercer et de son magistral Reputation and International Politics (Cornell University Press, 1996). D’où un sentiment d’inachevé.

Les islamistes au défi du pouvoir

Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012). Mohamed-Ali Adraoui propose une analyse de l’ouvrage de Samir Amghar (dir.), Les Islamistes au défi du pouvoir : évolutions d’une idéologie (Paris, Michalon, 2012, 208 pages).

Une idéologie à prétention radicale peut-elle se transformer – surtout lorsqu’elle provient de la sphère religieuse et que son ambition initiale est de soumettre à la vision sacrale de ses militants l’ensemble de l’espace social ?
L’offre islamiste s’est bel et bien installée dans le processus démocratique. L’analyse du spectre des confrontations de l’islam politique aux réalités de l’exercice du pouvoir laisse entrevoir un éventail somme toute large de positionnements, l’environnement étant primordial pour saisir la nature de l’insertion dans le jeu politique. La thèse générale va plutôt dans le sens d’une intégration dans un jeu « pluraliste » parallèlement au maintien d’un discours de défense de l’identité religieuse de la société. Les mouvements islamistes ayant fait le choix de s’inscrire dans un système peu ou prou démocratique ont eu tendance, malgré la persistance de postures pouvant passer pour problématiques, à jouer le jeu du formalisme démocratique.
C’est le cas au Maroc ou au Liban. Le premier a vu l’entrée en politique du Parti de la justice et du développement (PJD) s’accompagner d’une modération tant pour ce qui est de l’acceptation de la norme démocratique que de la reconnaissance du régime monarchique, même si certaines inclinations idéologiques demeurent, notamment lorsque la morale religieuse ou certaines valeurs familiales sont présentées comme menacées. Au pays du cèdre, l’inscription du « Parti de Dieu » dans le jeu démocratique a conduit à mettre en avant la portée nationaliste et sociale du mouvement, relativisant la référence religieuse.
L’évolution se vérifie en partie dans le cas palestinien, où le Hamas doit gérer les contraintes liées au système démocratique et à l’agenda de résistance nationale, et en Turquie, où le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkinma Partisi, AKP) fait pour certains figure d’exemple à suivre, même s’il semble difficile de considérer son expérience comme mécaniquement transposable. La Tunisie fait également écho à cette dynamique puisque l’aggiornamento du mouvement Ennahda est moins présenté comme résultant d’un « agenda caché » que comme le fruit d’une contrainte liée à la transition démocratique, qui l’oblige à agir en « parti de gouvernement ».
Un autre phénomène, observable au Pakistan et au Yémen, semble être l’échec relatif de l’islamisme, si l’on en juge par la déception d’une partie de sa base sociale. Le « dilemme » serait dès lors celui-ci : faut-il revenir à un discours plus radical ou diluer définitivement la visée protestataire pour ne pas aggraver les difficultés socio-économiques et diplomatiques ? Le cas algérien, du fait des événements de 1991, constitue une exception : les spéculations demeurent sur la pratique d’un pouvoir jamais réellement exercé ailleurs qu’au niveau local.
Le dernier chapitre sur les Frères musulmans égyptiens suit plus la propension du mouvement à se fondre dans un système fondé sur la souveraineté du peuple qu’il n’expose l’histoire de son insertion dans un jeu « ouvert ». L’auteur se situe du côté de ceux pour qui les Ikhwan restent une organisation fortement idéologisée, largement incapable de revoir son credo.
Cet ouvrage, fruit de l’apport de chercheurs spécialisés dans l’étude d’un pays précis, vient indéniablement combler un vide à l’heure où d’aucuns craignent l’avènement d’un « printemps islamiste ». L’analyse de l’islam politique au sein d’un État sur un temps long constitue la principale plus-value de ce travail dont les conclusions, certes prudentes, insistent sur la nécessité de concevoir ce phénomène en constante interaction avec son environnement, de manière à saisir l’ampleur de ses mutations actuelles et futures.

Mohamed-Ali Adraoui

Pour vous abonner à Politique étrangère via la Documentation française, cliquez ici.

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén