Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2012), dont le premier dossier est consacré à « Internet, outil de puissance ». Julien Nocetti, chercheur associé au Centre Russie/NEI de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Rebecca MacKinnon, Consent of the Networked: The Worldwide Struggle for Internet Freedom (New York, Basic Books, 2012, 320 pages).

Rebecca MacKinnon, chercheuse à la New America Foundation et cofondatrice de la plate-forme de blogs militants Global Voices, détaille la façon dont nos vies, en et hors ligne, sont de plus en plus affectées par les organismes de régulation, les décisions politiques et les acteurs privés cherchant à façonner des « territoires » au sein d’un Web encore malléable.
R. MacKinnon entame son analyse avec un panorama mondial cyberdystopique, exposant les menaces planant sur la liberté et la sécurité des militants en ligne. Les pages les plus convaincantes concernent la Chine, domaine d’expertise de l’auteur et véritable laboratoire du contrôle d’Internet. Les autorités y restreignent l’accès aux sites qu’elles jugent menaçants, tout en autorisant les acteurs privés locaux à créer des réseaux sociaux calqués sur leurs modèles occidentaux, mettant ainsi les internautes dans une « cage dorée ». Toutefois, une riche littérature existe déjà sur le détournement d’Internet par les régimes autoritaires (E. Morozov, R. Deibert et R. Rohozinski, C. Farivar).
Le principal apport du livre réside dans la description du rôle des acteurs privés – essentiellement américains – qui coopèrent avec les États, démocratiques ou non, dans le contrôle d’Internet. En effet, si les démocraties établies ont su maintenir le « consentement des gouvernés », ce consentement, pour R. MacKinnon, n’a pas survécu au degré de sophistication toujours plus poussé des technologies numériques. Plus précisément, elle critique l’idéologie anti-anonymat des grands acteurs du Web comme Google ou Facebook, qui a pour conséquence l’exposition de l’intégrité physique des activistes internautes dans le monde et la restriction des libertés. Lorsque Facebook a changé ses règles de vie privée sans prévenir ses utilisateurs peu de temps après les émeutes iraniennes de 2009, la vie de milliers d’internautes iraniens s’est ainsi trouvée exposée.
Cependant, l’auteur a tendance à mettre sur un pied d’égalité le pouvoir étatique avec celui du secteur privé. Elle assimile ainsi le « Facebookistan » ou le « Googledom » aux réelles puissances souveraines – les États – sur les réseaux numériques et la vox bloggeri mondiale. Or les acteurs privés ne sont pas souverains et n’ont aucune légitimité à représenter les citoyens. De même, ils ne possèdent pas de pouvoir coercitif et chacun peut fuir leurs « territoires » à n’importe quel moment ou refuser de les rejoindre.
Si R. MacKinnon parvient à être critique, elle ne perd pas de vue les apports bénéfiques des nouvelles technologies, en appelant à un dialogue plus nourri entre les citoyens, les gouvernements et les acteurs privés. Elle encourage, au fond, une attitude moins romantique envers ces technologies.
Au final, c’est un emprunt de l’auteur à Tocqueville qui résume le mieux l’ouvrage : « Il semble que si le despotisme venait à s’établir chez les nations démocratiques de nos jours, il aurait d’autres caractères : il serait plus étendu et plus doux et il dégraderait les hommes sans les tourmenter. » Consent of the Networked fournit des clés bienvenues pour éviter la concrétisation de ce scénario « post-huxleysien ».

Julien Nocetti

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