Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2012). Yves Gounin y propose une analyse de l’ouvrage de Xavier Harel et Thomas Hofnung, Le Scandale des biens mal acquis : enquête sur les milliards volés de la Françafrique (La Découverte, 2011, 238 pages).

En mars 2007, trois organisations non gouvernementales (ONG) déposent plainte contre cinq chefs d’État africains et leur famille pour « recel de détournement de fonds publics ». Elles leur reprochent l’acquisition en France d’un impressionnant patrimoine immobilier au coût sans commune mesure avec leurs revenus officiels.
Une enquête policière est confiée à l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), qui lève une partie du voile sur le train de vie ubuesque de ces chefs d’État : hôtels particuliers, berlines de luxe, comptes en banques par centaines, etc. Las ! le parquet classe la plainte sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée» en novembre 2007.
Les ONG, auxquelles s’est ralliée Transparency International, ne se découragent pas. Elles déposent une nouvelle plainte avec constitution de partie civile le 2 décembre 2008, qui vise les présidents du Congo, du Gabon et de la Guinée Équatoriale. Sa recevabilité est douteuse.
La procédure pénale n’autorise pas n’importe qui à attaquer n’importe quoi : un plaignant doit invoquer un préjudice « direct et personnel» pour espérer voir sa plainte aboutir. Est-ce le cas en l’espèce ? La doyenne des juges d’instruction est de cet avis ; mais le parquet fait appel et la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris lui donne raison. Les ONG forment un pourvoi en cassation et la Cour de cassation, à leur grand soulagement, déclare dans un arrêt du 9 novembre 2010 leur plainte recevable. L’arrêt, historique, dépasse le cadre des relations franco-africaines en ouvrant un champ immense aux ONG. Ainsi l’ONG Anticor l’a-t-elle invoqué en se constituant partie civile dans l’affaire de Karachi.
C’est cette histoire que racontent d’une plume trempée au vitriol Thomas Hofnung et Xavier Harel. Le premier l’avait suivie pour Libération, signant notamment au lendemain de l’arrêt de la Cour de cassation un article, « Le crépuscule de la Françafric », primé au Grand Prix 2010 des quotidiens nationaux dans la catégorie « meilleure enquête d’investigation ». Le second est un spécialiste des circuits de blanchiment et des paradis fiscaux. Leur livre est autant une chronique du scandale des biens mal acquis, vite pliée dans la première partie, qu’une description sans concession des dernières frasques de la Françafrique auxquelles sont consacrées les deux parties suivantes. Elles se lisent sans déplaisir mais n’apprennent pas grand-chose que n’aient déjà révélé François-Xavier Verschave, Stephen Smith ou Antoine Glaser.
Au-delà des révélations croustillantes qu’il livre sur l’hubris délirant de quelques autocrates africains (les pages consacrées au fils du président équato-guinéen sont saisissantes), dont l’enrichissement personnel n’a d’égal que la misère dans laquelle leur population croupit, le scandale des biens mal acquis est révélateur de l’intrusion d’un nouvel acteur dans les relations franco-africaines. Le temps n’est plus où les réseaux Foccart pouvaient agir dans l’ombre. Après la presse, c’est la justice qui s’y intéresse. De plus en plus souvent, le cours tranquille des relations franco-africaines est compliqué par des affaires judiciaires : enquête sur la disparition de Guy-André Kieffer en Côte-d’Ivoire, sur le « suicide » du juge Bernard Borrel à Djibouti, sur l’attentat contre le président Juvénal Habyarimana au Rwanda, sur les « disparus du Beach » au Congo-Brazzaville. Les chefs d’État africains visés directement ou indirectement par ces enquêtes y voient un geste d’hostilité de la France et de sa justice. Ils croient que cette dernière est aux ordres, quand elle l’est de moins en moins.
Au-delà du scandale, la question se pose de la pérennité de la Françafrique. Les auteurs, dont c’est le fonds de commerce, y croient et font leur l’adage de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que tout reste pareil. » Pour eux, Total perpétue le même système qu’Elf et Nicolas Sarkozy a financé ses campagnes politiques comme ses prédécesseurs. Pourtant, la mort d’Omar Bongo en juin 2009 sonne le glas d’une « certaine Françafrique ». Le tonitruant déballage de Robert Bourgi, en septembre 2011, doit être analysé à cette aune : il est l’œuvre d’un homme blessé, congédié sans ménagement, qui fait le constat désabusé que son temps est passé.

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