Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2012). Laurence Nardon, responsable du programme États-Unis de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Thomas E. Mann et Norman J. Ornstein, It’s Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided with the New Politics of Extremism (New York, Basic Books, 2012, 226 pages).

Bien connus des étudiants en science politique aux États-Unis, deux chercheurs chevronnés se penchent à nouveau sur les dysfonctionnements du système institutionnel et politique américain, dans un ouvrage qui établit un constat et une analyse des causes avant de proposer des remèdes.
La Constitution de 1787 a mis en place une stricte séparation des pouvoirs à travers un système présidentiel : le Congrès ne peut démettre le président, qui ne peut dissoudre le Congrès. En cas de majorité différente à la Maison-Blanche et dans les deux chambres (divided government), ces différents acteurs sont condamnés à s’entendre jusqu’aux élections suivantes, sous peine de blocage complet de l’activité législative. Or, les dernières décennies ont vu l’effritement de ce système fondé sur le compromis, sous l’action d’une polarisation croissante des partis républicain et démocrate et de la vie politique américaine en général. Cette dernière se caractérisant par une grande animosité entre politiciens, que les auteurs décrivent comme « hyperpartisans ». Le taux d’approbation de l’action du Congrès dans l’opinion est descendu en 2012 aux alentours de 10 %.
Publié par des chercheurs reconnus, émanant pour l’un de la Brookings (considérée comme progressiste) et pour l’autre de l’American Enterprise Institute (considéré comme conservateur), l’ouvrage bénéficie d’une aura à la fois académique et bipartisane. C’est ce qui permet aux auteurs de dénoncer le Parti républicain comme beaucoup plus agressif et idéologique que le Parti démocrate et comme portant une lourde responsabilité dans l’évolution à laquelle on assiste aujourd’hui. Ces dernières années, les républicains ont en effet entrepris une œuvre de délégitimation de tout ce qui n’est pas dans leur ligne, y compris bien sûr du président. La dénonciation de cette « polarisation asymétrique » n’est pas courante dans les cercles politiques et les médias américains, car elle est bien sûr la cible d’attaques violentes de la part… des républicains.
La seconde moitié du livre passe en revue les solutions possibles. Certaines sont rejetées, comme l’émergence d’un troisième parti ou la candidature d’indépendants, et d’autres justifiées, au terme de démonstrations convaincantes. Parmi ces dernières, la réforme des partis et de certaines procédures utilisées au Sénat et à la Chambre des représentants, une meilleure responsabilisation des médias et surtout une plus grande participation citoyenne à la vie politique. Elle serait basée par exemple sur un système d’amende en cas d’abstention aux élections, comme au Brésil.
La science politique n’étant pas une science exacte, le lecteur ne peut s’empêcher de penser que d’autres démonstrations pourraient proposer d’autres solutions de manière tout aussi concluante. Tant de facteurs entrent en ligne de compte dans l’application et le succès de réformes politiques qu’il semble difficile de trancher ex ante. Quoi qu’il en soit, et malgré une bonne présence médiatique du livre, de ses auteurs et de leurs thèses, il semble que le nivellement par le bas de la vie politique américaine soit appelé à se poursuivre – à l’instar de ce qui se passe dans le monde des médias américains. Aucun levier ne semble pouvoir être actionné pour engager une réforme du système dont tout le personnel politique paraît aujourd’hui prisonnier.

Laurence Nardon

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