Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2012). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Mahnaz Shirali,  La Malédiction du religieux : la défaite de la pensée démocratique en Iran (Paris, François Bourin Éditeur, 2012, 446 pages).

Après avoir publié en 2001 un livre remarqué sur la jeunesse iranienne, Mahnaz Shirali, docteur en sociologie, nous propose un nouvel ouvrage qui se veut à la fois une histoire de l’Iran contemporain depuis le début du XXe siècle et une réflexion sur la malédiction qui semble peser sur ce pays. L’auteur rappelle que l’histoire de l’Iran au XXe siècle est un combat sans merci entre la monarchie, les religieux et les forces libérales. Plusieurs moments clés sont ainsi soulignés, notamment la chute de Mohammad Mossadegh en 1953.
Dès les années 1960, Ali Chariati, qui se lie, à la Sorbonne, avec Frantz Fanon, théorise une pensée qui devait contribuer au succès de Rouhollah Khomeini. Ex post, il apparaît comme l’idéologue de la révolution : développant le thème de la lutte contre l’impérialisme et le colonialisme, il estime qu’il faut s’appuyer sur l’« immense capacité de la religion musulmane à mobiliser les peuples opprimés »… Si l’imam Khomeini apparaît vite comme un personnage charismatique, sa pensée reste longtemps vague. Dans son premier essai politique Les Secrets dévoilés, en 1943, il dénonce les « péchés irrémissibles » du shah, notamment la fermeture des séminaires religieux et le remplacement des tribunaux religieux par un système judiciaire dépendant de l’État, mais il affirme son allégeance à la monarchie. Ce n’est qu’en 1970 qu’il développe sa théorie du walâyat-e faqih : la suprématie des docteurs de la loi islamique, de valeur constitutionnelle après 1979. Il insiste sur la légitimité divine des religieux à gouverner et appelle à s’opposer aux « régimes injustes », donc au shah. Cependant, comme le montre très bien l’auteur, les religieux sont eux-mêmes divisés. Certains contestent ce pouvoir des clercs, quand de nouveaux penseurs, tels Abdolkarim Soroush ou Akbar Gandji, dénoncent le caractère totalitaire du régime, estimant que l’islam est compatible avec la démocratie.
Mahnaz Shirali souligne à juste titre que la guerre déclenchée en 1980 par Saddam Hussein avec la bienveillance de l’Occident provoque la radicalisation du régime. Au nom de la nécessaire unité face à l’ennemi, il renforce la répression et liquide les opposants, voire ceux qui n’adhèrent pas totalement à ses orientations. La guerre meurtrière qui dure jusqu’en 1988 légitime ainsi un pouvoir religieux liberticide et totalitaire.
Après la mort de l’imam Khomeini, le régime perd sa crédibilité. Tant sur le plan politique qu’économique, l’échec est évident et les tensions s’affirment de plus en plus ouvertement. Si, avec l’imbrication des religieux dans le champ politique dont toutes les instances sont noyautées, le régime se maintient, à travers cette exploitation de la religion à des fins de pouvoir, « le religieux se voit condamné à se trahir en désavouant sa propre nature »… On assiste donc à la « destruction du religieux par lui-même ».
Malgré ce constat accablant, l’auteur se garde d’annoncer la disparition d’un régime qui paraît pourtant à bout de souffle. La pensée démocratique a du mal à s’affirmer, comme l’a montré l’échec du mouvement des Verts. « Aucune option valide n’existe face au régime et rien ne laisse présager à court terme une transformation majeure dans l’équilibre du pouvoir. » L’espoir réside donc dans un écroulement du régime sur lui-même à l’instar de l’URSS en 1989.
Ce livre permet de mieux comprendre comment l’Iran, qui possède une classe d’intellectuels particulièrement brillante et une société civile éduquée et sophistiquée, peut encore supporter un régime dont l’archaïsme est évident et l’échec patent. À travers l’analyse des idéologies et des évolutions historiques, M. Shirali propose des clés de lecture sur ce pays complexe, fier de sa civilisation et attachant.

Denis Bauchard

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