Cette recension est issue de Politique étrangère 2/2013. Julien Nocetti propose une analyse des ouvrages d’Éric Brousseau, Meryem Marzouki et Cécile Méadel (dir.) – Governance, Regulations, and Powers on the Internet (Cambridge, MA, Cambridge University Press, 2013, 462 pages) et de Nazli Choucri – Cyberpolitics in International Relations (Cambridge, MA, MIT Press, 2013, 312 pages).

00-Brousseau-etalii-9781107013421Ces deux ouvrages offrent un cadre d’analyse bienvenu sur l’insertion de l’Internet dans les débats sur la gouvernance mondiale et la théorie des relations internationales.
Le premier regroupe des essais proposant une perspective globale sur les profondes transformations qui affectent la gouvernance de l’Internet. Croisant approches théoriques et empiriques, il montre que gouvernance « technique » – qui prévalait jusque là – et gouvernance « politique » sont dorénavant étroitement liées. En cause, expliquent les auteurs, les évolutions de nos sociétés postmodernes, la mondialisation, la réorganisation des relations internationales et, peut-être davantage, les mutations des États-nations. La nature sans frontière d’Internet, réseau de réseaux, est perçue comme un défi pour le principe de souveraineté des États-nations, sur lequel repose largement un ordre international dont l’origine remonte aux traités de Westphalie de 1648. Nombre de gouvernements considèrent aujourd’hui que l’Internet est devenu trop important pour être laissé sous la responsabilité des seuls acteurs privés ou techniques. L’ouvrage revient d’ailleurs sur la multitude d’acteurs impliqués dans la gouvernance de l’Internet, qui défendent pour certains des agendas divergents sur des problématiques clés comme la défense de la liberté d’expression en ligne, le respect de la vie privée et de la propriété intellectuelle, etc. Loin de valider les théories réalistes, les auteurs avancent que la gouvernance de l’Internet ne peut que générer des innovations institutionnelles et sociales, qui s’inscriront dans des processus globaux de régulation. Leur approche insiste sur la nécessité de repenser le rôle des États dans la gouvernance globale. Bien des incompréhensions dans la définition des différents shareholders de la gouvernance Internet s’expliquent par une difficulté conceptuelle : identifier les dynamiques propres au numérique, en termes d’usages comme de représentativité des internautes, tout en saisissant les logiques de puissance, en termes de rapports de force et d’influence entre États.
00-Choucri-9780262517690Ce dernier point est également abordé dans l’ouvrage de Nazli Choucri, dans une perspective plus généraliste et avec une question sous-jacente : est-il possible de développer une théorie liant relations internationales et technologies numériques ? L’auteur, professeur au MIT, émet l’idée que les nouvelles formes d’interactions créées par le développement du cyberespace ont complexifié les vieux concepts de souveraineté, de stabilité et de sécurité. Partout, à chaque instant, des individus accèdent au savoir et à des possibilités infinies d’interactions, lesquelles engendrent de nouvelles vulnérabilités. Elle cartographie un monde encore en construction et éclaire le nouveau paysage politique du cyberespace et les façons dont il complique la quête de puissance et de richesse des États. Cependant, son argumentaire est dilué dans une kyrielle de tableaux et de graphiques à l’intérêt discutable. Plus significatif, l’auteur tend à occulter la multiplicité des activités des États dans le cyberespace. Ces omissions peuvent s’expliquer par l’ancienneté des sources – des affaires comme Stuxnet ou WikiLeaks étant intervenues après la rédaction. Si l’ouvrage constitue une introduction crédible à la cyberpolitique mondiale, une mise à jour prenant en compte les deux dernières années, voire plus prospective, paraît nécessaire.

Julien Nocetti

Pour vous abonner à Politique étrangère, cliquez ici.

Pour acheter Politique étrangère 2/2013, cliquez ici.