k9520Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2013). Isabelle Depla propose une analyse de l’ouvrage de David Scheffer, All the Missing Souls. A Personal History of the War Crimes Tribunals (Princeton, Princeton University Press, 2012, 568 pages).

À travers son propre parcours, David Scheffer couvre dix ans d’histoire de la justice pénale internationale dans la vie politique et diplomatique américaine, de l’instauration du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) aux tribunaux spéciaux pour la Sierra Leone et le Cambodge. David Scheffer en a été l’une des chevilles ouvrières, occupant des postes clés auprès de Madeleine Allbright, dans l’administration Clinton, notamment comme ambassadeur itinérant des États-Unis chargé des crimes de guerre de 1997 à 2001.

Construit chronologiquement, chapitre après chapitre, le livre décrit son travail d’infinies négociations, ses patients combats contre les obstacles de tous ordres pour faire progresser cette justice. David Scheffer fait aussi part de ses aveuglements face au génocide au Rwanda, des échecs de l’administration Clinton ou des siens propres, lorsqu’il a été mis sur la touche pour sa détermination en faveur de cette justice, lâché par son gouvernement ou placé dans des situations politiquement intenables et contraires à ses convictions, notamment lors des négociations pour le traité de Rome instaurant la Cour pénale internationale (CPI).

L’intérêt de ce livre est triple. Pour un lecteur non familier de cette histoire, il offre une approche globale de ces années de développement de la justice pénale internationale, quoique la lecture suppose souvent une connaissance préalable des événements pour se repérer dans le maquis des conférences et négociations évoquées. En second lieu, pour les chercheurs en sciences humaines notamment, c’est un document précieux pour comprendre la complexité des processus de négociation et d’élaboration des institutions, des différents traités et conventions qui, avant de s’imposer avec la rigueur du marbre, ont été l’objet de tractations indéfinies entre les différents pays. Il restitue ainsi une dimension humaine de contingence et d’imprévisibilité. Ainsi en est-il du rôle de Madeleine Albright pour promouvoir des femmes, juges ou procureurs, en tant qu’actrices de cette justice ou de l’exclusion de la peine de mort de l’échelle des peines du TPI pour le Rwanda et de la CPI. Le livre éclaire également les liens complexes entre politique d’immigration américaine et jugement des crimes de guerre. Enfin, sans révéler de secrets d’États, D. Scheffer éclaire les dessous et coulisses d’événements ou de situations controversés, par exemple la longue impunité de Radovan Karadzic et Ratko Mladic, largement favorisée par la France.

L’ouvrage aurait pu être captivant, mais suscite une relative déception. Cette dernière tient d’abord à un style très factuel, traitant essentiellement d’entités génériques : le Pentagone, la France, l’Union européenne (UE), le Rwanda, la Chine, etc. Cet anonymat institutionnel finit par produire une vision désincarnée : dans ce grand théâtre, « la France » apparaît tour à tour comme réticente envers le TPIY, puis en pointe du progrès pour la CPI, sans que l’on comprenne ce changement.

Les remerciements de fin d’ouvrage révèlent que D. Scheffer doit notamment son engagement à Michael Walzer, dont il a suivi les cours sur la guerre juste, en compagnie de Benazir Bhutto et de quelques autres condisciples de renom. Il est dommage que l’auteur n’ait pas poussé plus avant sa réflexion théorique à partir de son parcours.

Isabelle Delpla

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