Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (4/2013). Denis Bauchard propose une analyse de l’ouvrage de Eugene Rogan, Histoire des Arabes de 1500 à nos jours (Paris, Perrin, 2013, 726 pages).

9782262037802L’ouvrage d’Eugene Rogan propose une « somme sans précédent », selon le prière d’insérer, sur l’histoire des Arabes depuis l’acte fondateur de la domination de l’Empire ottoman après la bataille de Marj Dabiq en 1516 jusqu’à l’invasion de l’Irak par George W. Bush.

L’analyse de la période ottomane et de l’écroulement de l’Empire est intéressante mais n’apporte pas d’éclairage nouveau par rapport aux ouvrages de référence d’Henri Laurens ou de David Fromkin. Cependant, Rogan démontre bien comment la politique britannique s’est enfermée dans les promesses et les accords contradictoires que révèlent la correspondance entre le chérif Hussein et le général Mac Mahon, la déclaration Balfour et les accords Sykes-Picot. Il évoque également de façon pertinente la politique de la Grande-Bretagne et de la France, à la fois complices et adversaires dans leur politique de démembrement progressif de l’Empire ottoman et dans la domination coloniale de la quasi-totalité du monde arabe. Cependant, la façon dont sont traités les deux colonisateurs marque un biais très britannique, même si l’analyse est apparemment aussi critique vis-à-vis des deux puissances colonisatrices. Un passage du livre est à cet égard très révélateur. On peut y lire que « si dans son immense majorité, l’opinion arabe n’a jamais souhaité cette présence [britannique], la puissance coloniale est, malgré les réticences, considérée avec respect. Les Britanniques sont efficaces, droits, respectueux des règles… » Ce portrait flatteur du colonisateur britannique laisse songeur face à la réalité historique et aux conséquences calamiteuses, encore présentes aujourd’hui, de la politique menée par la Grande-Bretagne au Moyen-Orient.

L’étude de la période contemporaine appelle de fortes réserves, par son contenu comme par ses lacunes. S’agissant de la question palestinienne, l’analyse est purement descriptive. Il manque à l’évidence une réflexion sur les causes de l’échec d’Oslo. Le rôle de l’Europe pour faire de Yasser Arafat un interlocuteur fréquentable et pour affirmer, notamment à travers la déclaration de Venise de 1980, le droit du peuple palestinien à l’autodétermination est passé totalement sous silence. Il en est de même des propositions d’Abdallah, à l’époque prince héritier d’Arabie Saoudite, avalisées par le sommet de la Ligue arabe de 2009 à Beyrouth. Même silence sur l’importance des liens politiques, économiques, culturels entre l’Europe et le monde arabe, les efforts pour mettre en place un partenariat méditerranéen concernant une majorité de pays arabes, comme sur les raisons de l’échec de Barcelone et de l’Union pour la Méditerranée. Enfin, la dimension économique et sociale des défis auxquels sont confrontés les pays arabes, clairement mise en valeur par les rapports du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publiés à partir de 2002 sur le développement humain dans le monde arabe, est quasiment absente. Leur examen aurait pourtant pu mieux faire comprendre l’enchaînement des soulèvements arabes, à partir d’un simple fait divers, survenu dans la Tunisie profonde en décembre 2011.

Cet ouvrage, très représentatif d’une approche anglo-saxonne du monde arabe, déçoit. Il n’apporte pas de réponse à l’interrogation fondamentale posée par Bernard Lewis, « What went wrong ? » Y a-t-il une malédiction arabe, une « exception » arabe, une incapacité à faire face au développement économique et social, au choc de la modernité, et à mettre en place des institutions démocratiques ? La synthèse « définitive » de l’histoire du monde arabe reste à faire.

Denis Bauchard

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