Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Anne Douchain propose une analyse de l’ouvrage de Stéphane Tison et Hervé Guillemain, Du front à l’asile, 1914-1918 (Paris, Alma, 2013, 420 pages)

frontasileCet ouvrage est fruit de la collaboration de deux historiens dont les parcours complémentaires enrichissent le point de vue sur les soldats de la Grande Guerre atteints de troubles mentaux : Hervé Guillemain est spécialiste de la Grande Guerre et Stéphane Tison s’intéresse particulièrement à l’histoire sanitaire.

Les sources inédites étudiées concernent des soldats français soignés dans la quatrième région militaire : Sarthe, Mayenne, Orne. Les archives principales comportent des dossiers de soldats contenant des observations médicales ou militaires. L’intérêt de cette étude de l’Ouest de la France est la relative continuité des sources et des structures, contrairement aux régions plus proches des combats comme la région militaire Nord.

Face à des traumatismes psychiques inédits, il s’agit pour les auteurs, dans un souci de continuité entre les périodes antérieure et postérieure au conflit, de savoir si la Première Guerre mondiale est l’élément déclencheur des troubles psychiatriques et comment les structures médicales et militaires s’y adaptent. L’ouvrage s’organise en quatre parties à la fois thématiques (définition de la folie et lieux) et chronologiques (d’avant la guerre à l’après-guerre).

L’entrée dans la folie se replace dès 1914 dans la perspective de la psychose collective qui frappe la population dans son ensemble. Les médecins, peu formés, sont frappés par le caractère brutal et nouveau des pathologies ou l’aggravation de maladies préexistantes comme la syphilis ou l’alcoolisme. Les auteurs évoquent la difficulté du deuil des civils, qui parfois ne retrouvent pas le corps ou ne peuvent le faire rapatrier. Les hôpitaux militaires ou militarisés reçoivent en effet des consignes pour inhumer les soldats.

Les lieux de la prise en charge ne sont pas prévus pour l’accueil : mobilisation du personnel de l’ensemble des structures hospitalières, manque de formation des médecins et des officiers. Les asiles de l’Ouest reçoivent les patients militaires et civils de la région militaire Nord, ce qui complète l’étude du parcours des patients des zones proches du front. La psychiatrie d’urgence apparaît sur le front, chez les Français comme pour les troupes du Commonwealth. La prise en charge des blessés mentaux n’est pas vraiment innovante. Les controverses subsistent ; des pathologies sont médicalisées, comme la fugue ou la peur. Les médecins évaluent les possibles sanctions, mais aussi les droits à pension ou à réforme. Enfin, la politique de santé de l’après-guerre s’occupe peu des soldats blessés mentaux.

À partir d’exemples bien documentés de la quatrième région militaire, les auteurs, dans la veine d’une historiographie nationale et internationale renouvelée à l’approche du centenaire, offrent un regard précis sur la folie, en particulier dans l’armée. En exploitant des sources sur la vie à l’arrière, ils permettent d’enrichir la notion de « culture de guerre ». Ils explorent une problématique occultée dans l’immédiat après-guerre : le soldat « malade mental » qui ne correspond pas à l’image du héros que la société recherche.

H. Guillemain et S. Tison font, enfin, la lumière sur certains faits peu connus, tels que l’engagement de déficients mentaux dans l’armée. À partir de 1917, des hommes mobilisés en 1914 et réformés alors pour troubles mentaux sont réincorporés, « récupérés » dans l’armée française à la suite des grandes offensives meurtrières de Verdun et du Chemin des Dames.

Anne Douchain

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