OldenbourgCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2014). Julia Heinemann propose une analyse de l’ouvrage de Christian Stachelbeck, Deutschlands Heer und Marine im Ersten Weltkrieg (Munich, Oldenbourg Verlag, 2013, 224 pages).

Chercheur au Centre d’histoire militaire et des sciences sociales de l’armée allemande (Zentrum für Militärgeschichte und Sozialwissenschaften der Bundeswehr), Christian Stachelbeck propose une riche synthèse de l’histoire de l’armée de Terre et de la Marine allemandes pendant la Première Guerre mondiale. Comportant photographies, cartes et tableaux, l’ouvrage s’ouvre sur une description de l’état de la recherche et de l’évolution de l’histoire militaire. Divisé en quatre grands chapitres (La pensée militaire et la conduite de la guerre ; Structures ; Armement ; Quotidien, expériences de guerre, motivations), le livre retrace, outre les étapes de la guerre en Europe, le déroulement des événements dans les colonies allemandes.

Parmi les raisons de l’effondrement de l’Allemagne, l’auteur pointe aussi bien la supériorité des pays de l’Entente que l’illusion largement partagée d’une guerre courte. S’y ajoutent les erreurs commises par les gradés (jouissance de privilèges non justifiés, favoritisme pour le ravitaillement et les permissions) : autant d’éléments qui déconstruisent le mythe d’une communauté du front unie, englobant toutes les couches de la société, mythe véhiculé ensuite par la littérature, et notamment par Ernst Jünger.

Poursuivant la déconstruction des mythes, l’auteur rapporte également que les volontaires n’étaient pas majoritairement des jeunes hommes de la couche supérieure bourgeoise mais bien des travailleurs de la classe moyenne des villes. De plus, l’auteur explique comment les récits selon lesquels l’armée allemande était restée « invaincue sur le champ de bataille » et la légende mensongère du « coup de poignard dans le dos » contribueront à l’évolution allemande dans l’entre-deux-guerres et à la fausse et dangereuse croyance du commandement de pouvoir compenser son infériorité stratégique et numérique, ainsi que le manque de ressources, par une meilleure conduite de la guerre et une mobilité tactique et opérative.

L’auteur lie habilement l’analyse des aspects militaires à la situation économique et politique et souligne à juste titre l’importance des mentalités. Ainsi, il montre d’une part que l’Allemagne s’est longuement attachée à une pensée caractéristique du xixe siècle : une sous-estimation de l’efficacité de nouvelles technologies au profit d’une surestimation du courage des combattants, ce qui explique, par exemple, que la motorisation du Reich en soit restée longtemps à un stade peu avancé ; il en sera de même dans le domaine des chars de combat, innovation majeure des Alliés. Par ailleurs, soulignant les effets du blocus sur l’économie mais également sur l’état psychique des soldats et de la population, Stachelbeck examine la situation quotidienne, qui explique notamment les mutineries, prélude à l’effondrement de l’Empire allemand.

Écrit sine ira et studio près de 100 ans après le premier conflit mondial, l’ouvrage retrace méticuleusement la guerre des forces armées allemandes, offre de nombreuses données utiles et critique ouvertement les responsables, politiques comme militaires, qui se sont laissé guider par leurs illusions autant que par des logiques de concurrence et des luttes de pouvoir. Ne développant pas plus avant les causes et mécanismes qui ont mené à la guerre, l’auteur se concentre sur les aspects militaires : planification et conduite des opérations. Cet ouvrage constitue une très bonne introduction synthétique à l’histoire de l’armée allemande dans la Première Guerre mondiale.

Julia Heinemann

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