ManuelCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Nele Katharina Wissmann propose une analyse de l’ouvrage de Sven Felix Kellerhoff, Face à une dictature tombée. Les leçons de l’histoire – un manuel (Berlin, Gedenkstätte Berlin-Hohenschönhausen, 2013, 140 pages).

Trois ans après la chute de Zine el-Abidine Ben Ali, le processus de démocratisation de la Tunisie est sur la bonne voie mais reste fragile. Peu après la révolution, la demande d’une clarification des crimes et délits commis par le parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), a été forte. La justice transitionnelle tunisienne n’a cependant démarré que timidement, n’étant pas considérée comme prioritaire dans cet environnement bouleversé. Parallèlement, les débats autour de la loi de lustration dirigée contre les anciens membres du RCD ainsi que de la politique d’indemnisation en faveur des anciens prisonniers politiques – dont des représentants du parti islamique Ennahda – ont été marqués par de fortes tensions émotionnelles au sein de la société et de l’élite politique tunisiennes.

Dans le cadre du partenariat pour la transformation conclue entre l’Allemagne et la Tunisie, la fondation liée au lieu de mémoire Berlin-Hohenschönhausen, ancienne maison d’arrêt centrale du Service de sécurité d’État de la République démocratique allemande (RDA), accompagne la culture de mémoire tunisienne dans le cadre du projet « Contre l’oubli ». À long terme, ce dernier souhaite mettre en place un lieu de mémoire, selon l’exemple de Hohenschönhausen, qui pourrait par exemple être situé dans les anciennes cellules de torture des services secrets tunisiens, au ministère de l’Intérieur. Dans le cadre du projet, le journaliste Sven Felix Kellerhoff, en charge de la rubrique histoire contemporaine au journal Die Welt, a élaboré un « code de bonnes pratiques » de la maîtrise du passé allemand (Vergangenheitsbewältigung), après 1945 et après 1989. Les cinq sous-parties de l’ouvrage (conservation des preuves, remplacement des élites, action pénale, indemnisation des victimes et sensibilisation) sont brièvement introduites par un état des lieux, puis l’auteur présente des exemples précis du modèle allemand. Dans le chapitre « Conservation des preuves », le lecteur peut par exemple s’informer sur le Berlin Document Center, en charge de l’archivage des fichiers des membres du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (Nationalsozialistiche Deutsche Arbeiterpartei, NSDAP). Il peut aussi comprendre l’importance, pour l’office fédéral chargé des dossiers de la Staatssicherheit (Stasi), de la loi sur l’usage des dossiers de la police politique est-allemande. À la fin de chaque chapitre, l’auteur donne un bref aperçu de la justice transitionnelle dans d’autres pays, ouvrant ainsi un débat plus large et dépassant le cadre allemand. Le musée de Robben Island (Afrique du Sud) et la loi de lustration polonaise figurent parmi les exemples cités.

Le livre se comprend comme un manuel présentant des exemples de réussites tout en n’ignorant pas les défauts et défaillances du modèle allemand, afin que les pays en transition ne commettent pas les mêmes erreurs. Pour être accessible à un large public, la version originale a été traduite en français, anglais et arabe.

La présentation du cas allemand s’avère très utile pour les pays traversant actuellement une transition politique. La loi sur l’usage des dossiers de la Stasi suggère ainsi que l’ouverture des archives doit être encadrée juridiquement et respecter la protection des données, tout en permettant une clarification des crimes commis. À ce sujet, il convient de relever que le « Livre noir » publié par le président Moncef Marzouki en 2013 (Le système de propagande sous l’ère de Ben Ali), qui se fonde sur les archives abandonnées au palais présidentiel et qui révèle les noms d’une centaine de journalistes et entrepreneurs ayant collaboré avec Ben Ali, a été interdit, faute d’une loi réglementant l’ouverture des archives tunisiennes.

Nele Katharina Wissmann

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