9782746734937FSCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (2/2014). Katrin Rücker propose une analyse de l’ouvrage de Ulrich Beck, Non à l’Europe allemande. Vers un printemps européen ?  (Autrement, 2013, 176 pages).

L’universitaire Ulrich Beck semble briser un tabou avec son nouveau livre, qui critique une « Europe devenue allemande ». Sa cible favorite est Angela Merkel, chancelière fédérale réélue au moment de la publication du livre. Liant la théorie du pouvoir de Nicolas Machiavel à sa propre théorie de la société mondiale du risque, il dénonce le « merkiavélisme » dont la légitimité d’action est fondée sur l’urgence d’agir face au risque. La théorie de la « société du risque » avancée par l’auteur est celle d’une modernité échappant à tout contrôle. Il l’applique ici à la crise européenne et à celle de l’euro. Faute d’une gouvernance efficace au niveau européen, les gouvernements capitulent devant la crise et participent à l’avènement de cette Europe allemande « nationalisée ». Assurée de la puissance économique de son pays, Merkel a saisi l’occasion d’asseoir son pouvoir. Combiner souverainisme et construction de l’Europe, l’art de la tergiversation comme stratégie disciplinaire, le primat de l’éligibilité nationale et la culture allemande de stabilité – voilà les quatre composantes du merkiavélisme. Sociologue, Beck propose de renforcer la « société européenne des individus » et de surmonter le souverainisme à l’aide d’un contrat social européen à la Jean-Jacques Rousseau. Ses constats de crise sont connus mais justifiés. Il campe pourtant sur les positions dépassées de la génération de mai 1968, née pendant la guerre (1944 pour Beck, 1945 pour Daniel Cohn-Bendit) et – de gauche ou de droite – habituée à générer de la dette au profit d’États et de technocrates toujours plus présents.

Certes, Beck souligne à juste titre « la faute originelle et fondamentale » de l’euro : l’union politique et économique qui pourrait coordonner efficacement les économies des États européens n’existe pas. Et la politique de rigueur à l’allemande appliquée à tous pourrait entraîner les pays européens endettés dans un cercle vicieux. Il met justement en avant le clivage entre, d’une part, les institutions européennes et, de l’autre, les citoyens et la jeunesse refusant l’intervention de Bruxelles. Mais des propos banals, voire douteux, sont avancés sur un ton pédagogue et scientifique. Pour l’auteur, ce n’est pas la dette qui est la raison profonde de la crise actuelle, mais la solidarité européenne. Il croit en la puissance hégémonique de l’Allemagne et au « miracle allemand » en matière d’emploi, et oublie que l’Europe entière croule sous une dette gigantesque et non remboursable laissée par la génération de Beck à la postérité, qui amènera l’Europe comme l’Union européenne (UE) à un déclin inévitable sur la scène mondiale. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois – comme l’Allemagne, qui fut, avec Gerhard Schröder, l’une des premières nations à ne pas respecter le Pacte européen de stabilité. Incompréhensibles sont les propos stéréotypés sur « le néolibéralisme très brutal » du pacte budgétaire européen ; sur le nationalisme allemand enraciné dans l’universalisme allemand, ainsi que sur l’éthique évangélique protestante de Martin Luther qui justifierait la politique de rigueur actuelle. Le dernier chapitre constitue le comble des vieux slogans creux et ambigus de la gauche européenne : Beck défend l’idée d’une nouvelle ère sociale-démocrate et transnationale, d’une utopie réaliste de la sécurité sociale, d’une conscience sociale et écologique, d’une campagne d’alphabétisation interculturelle à l’échelle de l’Europe, comme de la création d’une année de volontariat civil européen pour tous. Tout cela se finance naturellement par plus d’impôts au profit de l’UE : taxes bancaires, taxes sur les transactions financières et sur les bénéfices des entreprises.

Katrin Rücker

 

S’abonner à Politique étrangère

Acheter le numéro 2/2014 de Politique étrangère