Gas MarketsCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Quentin Boulanger propose une analyse de l’ouvrage de Manfred Hafner et Simone Tagliapietra, The Globalization of Natural Gas Markets: New Challenges and Opportunities for Europe (Claeys & Casteels, 2013, 184 pages).

Manfred Hafner et Simone Tagliapietra analysent l’impact de la globalisation des marchés gaziers sur l’Europe. Le principal atout de l’ouvrage réside dans la capacité des auteurs à mettre en perspective les enjeux auxquels doit faire face cette dernière au regard des deux révolutions technologiques majeures que sont le gaz naturel liquéfié (GNL) et l’exploitation des ressources non conventionnelles. Si le développement du GNL et du gaz de schiste remonte aux années 1950 et 1970, leur diffusion rapide depuis les années 2000 bouleverse les rapports de force entre producteurs et importateurs.

La globalisation des marchés gaziers n’est pas sans conséquence pour l’Europe. Le modèle des années 1960 fondé sur des contrats de long terme indexés sur le pétrole perd notamment en pertinence. Le basculement d’un capitalisme étatique caractérisé par des « champions nationaux » vers un marché intérieur du gaz libéralisé, comme les crises russo-ukrainiennes, renforcent la nécessité d’intégrer la dimension externe de la politique énergétique européenne. Le défi est cependant ailleurs.

Les auteurs soutiennent que le premier enjeu pour l’Europe est de clarifier la place du gaz dans le bouquet énergétique. En 2012, sa consommation atteint moins de 450 milliards de mètres cubes, son plus bas niveau depuis 2000. Le gaz naturel est-il pour autant une source d’énergie condamnée ou une énergie de transition ? Conservera-t-il un rôle central dans le bilan énergétique ? La question est ouverte au regard de l’objectif de décarbonation de l’économie à l’horizon 2050. Ni l’Energiewende allemande ni les politiques française ou britannique ne semblent apporter de réponse.

Alors que 70 % du gaz consommé en Europe est importé, un passage en revue des différents fournisseurs révèle par ailleurs la fragilité de l’approvisionnement européen. En Algérie, en Libye, en Égypte, la stabilité politique n’est pas garantie. Au Qatar, le développement du champ gazier de North Field est soumis à moratoire jusqu’en 2016. Au Nigeria, des investissements importants doivent être réalisés pour répondre à la demande interne. En Norvège et en Russie, les grands champs ont amorcé leur déclin. La production norvégienne devrait atteindre un pic en 2020, tandis que la Russie a lancé une vague d’investissements sans précédent. Quelles sont alors les alternatives aux fournisseurs actuels ?

Le Corridor sud devant relier l’Europe à la mer Caspienne et au Moyen-Orient via la Turquie est une priorité politique, tandis que les découvertes offshore en Méditerranée orientale bouleversent la donne régionale. Pour les auteurs, le jeu géopolitique décidera de l’avenir de ces deux alternatives. La première nécessitera une refonte, d’une part des relations entre la Turquie et les pays producteurs, et d’autre part du partenariat entre l’Union européenne (UE) et la Turquie. La seconde reste soumise à de nombreuses incertitudes politiques, avec les conflits régionaux entre Israël et la Palestine.

Hafner et Tagliapietra font donc passer un message : rien n’est encore joué sur les marchés gaziers. La globalisation appelle à clarifier le rôle du gaz naturel en Europe et à développer un partenariat stratégique entre l’UE et la Russie. Ce dernier sera d’autant plus nécessaire que le potentiel à moyen terme des fournisseurs habituels de l’UE est incertain, que le développement du GNL fournit la capacité d’arbitrer entre l’Europe et l’Asie et que la place de la Méditerranée orientale dans l’approvisionnement européen est loin d’être acquise.

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