LivreNoirCette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Samuel Ghiles-Meilhac propose une analyse de l’ouvrage de l’association Breaking the Silence, Le Livre noir de l’occupation israélienne. Les soldats racontent (Autrement, 2013, 396 pages).

En 2004, alors que la seconde Intifada fait rage, d’anciens réservistes de l’armée israélienne créent l’association Breaking the Silence. Ces jeunes hommes et femmes souhaitent porter à la connaissance du public ce qu’ils ont été amenés à faire au nom de la défense d’Israël et de la lutte contre le terrorisme. Sans se définir à partir des clivages politiques classiques entre partisans d’un compromis territorial et défenseurs de la présence israélienne dans les territoires conquis en 1967, ils témoignent à travers expositions, conférences et textes des effets de la politique d’occupation d’Israël en Cisjordanie. Les actes d’intimidation, l’usage excessif de la force, les stratégies d’humiliation, la mansuétude à l’égard d’exactions commises par des colons : la liste est longue des abus structurels d’une occupation qui dure depuis plus de quatre décennies. Ce livre, traduction en français de ces témoignages d’abord publiés en Israël puis dans le monde anglo-saxon, illustre à quel point les différents processus de négociation et la mise en place de l’Autorité palestinienne depuis les accords d’Oslo n’ont pu libérer le quotidien des Palestiniens du contrôle militaire israélien.

Malheureusement, le travail éditorial effectué pour mettre en valeur et contextualiser la richesse de cette masse d’entretiens – au nombre de 145 – est faible. Le lecteur français, même familier de l’histoire du conflit israélo-palestinien, risque de se lasser rapidement devant des questions-réponses dont l’accumulation rend l’étude fastidieuse. Il y avait pourtant matière à faire de ce livre une exploration du rapport entretenu entre la société israélienne, son armée et l’occupation des territoires palestiniens. Quel est le profil sociologique de ces soldats qui osent étaler publiquement le prix moral de l’occupation ? Quelles sont leurs motivations ? Comment la classe politique, la presse et l’institution militaire réagissent-elles à la diffusion de ce discours critique émanant d’anciens militaires ? Ces questions sont quasiment absentes du livre. Il aurait pourtant été passionnant de s’interroger sur les nombreuses initiatives anti-occupation émanant de la société civile (mouvements de femmes, anarchistes, rabbins et juristes pour les droits de l’homme, etc.), et la faiblesse de leur traduction dans le champ politique classique.

Zeev Sternhell, historien et farouche critique de la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens depuis 1967, écrit dans sa préface combien les informations contenues dans les récits des soldats permettent de briser un silence qu’il compare à un « glacier qui recouvre les Territoires occupés » et qui est aussi éloigné d’Israël que le pôle Nord. Il est regrettable que les éditeurs français n’aient pas pris en compte les pistes prometteuses du préfacier pour permettre à ce document de devenir une référence.

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