Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (3/2014). Jérôme Marchand propose une analyse de l’ouvrage de Rahul Sagar, Secrets and Leaks: The Dilemma of State Secrecy (Princeton University Press, 2013, 280 pages).

Secrets and Leaks s’attaque à un sujet éminemment sensible, porteur d’enjeux lourds pour l’avenir des systèmes démocratiques. L’ouvrage traite des brèches de confidentialité auxquelles se trouve exposé l’appareil d’État américain dans le volet sécurité nationale de ses activités, et cherche à déterminer dans quelle mesure le cadre normatif en place permet de lever le voile sur les dérapages en tous genres – débords, âneries, bavures, fiascos, déviances – des organes d’exécution civils et/ou militaires, suppléant ainsi les défaillances de leurs contrôleurs institutionnels (représentants politiques, haute administration).

Le secret officiel, reconnaît l’auteur, tient une place importante dans l’exercice du pouvoir exécutif. Néanmoins, la sagesse élémentaire montre que l’on ne peut confier au président en exercice et à ses proches collaborateurs le soin de déterminer ce qui mérite ou non de rester confidentiel. Le Watergate et l’Irangate sont passés par là, sans compter les égarements de George W. Bush et de ses « Vulcains ». Au fil du temps, d’autres méthodes de régulation ont émergé : contrôle judiciaire (via le Freedom Of Information Act) et contrôle parlementaire (via les commissions spécialisées en charge des questions de défense et de renseignement). Elles aussi ont montré leurs limites. Trop de déférence et de naïveté de la part des magistrats amenés à examiner les argumentaires présentés par la Maison-Blanche. Pas assez de discipline et d’honnêteté intellectuelle de la part des Congressmen ayant à se prononcer sur la légitimité réelle de tel ou tel dossier classifié. C’est pourquoi Rahul Sagar finit par se rallier à l’idée selon laquelle les « donneurs d’alerte » (whistleblowers), opérant à l’intérieur de l’appareil d’État et procédant par voie de fuites anonymes, constituent un levier de rééquilibrage indispensable. À défaut de mieux…

À son actif, Secrets and Leaks balaie une large palette de cas de figure et recense de manière raisonnée les multiples nuisances auxquelles se condamne un ensemble démocratique porté à accorder trop de confiance aux explications des autorités en place et à leur jugement soi-disant raisonné et distancié. En contrepartie, le texte laisse entrevoir en plusieurs points de sérieuses lacunes. Sagar manque de vécu et de recul critique, et cela se sent par exemple lorsqu’il taxe la presse d’information américaine de sensationnalisme inconséquent. Vu ce qui était sorti au grand jour dans les années 1973-1975 – les « joyaux de famille » de la Central Intelligence Agency (CIA) –, vu ce que les salles de rédaction pourraient déterrer si elles souhaitaient ou pouvaient vraiment s’engager dans une logique de croisade purificatrice, on a plutôt le sentiment que les médias nord-américains font preuve d’une remarquable tempérance. Dans un ordre d’idées voisin, Sagar paraît porté à ignorer les méthodes extrêmes ayant parfois cours dans les appareils de force, lorsqu’il s’agit de réduire au silence les agents de révélation non contrôlée et autres trouble-fête. Parler de harassement, de représailles administratives et d’ostracisme ne donne qu’une image très affadie des pénalités auxquelles s’exposent les fuiteurs issus du sérail et requalifiés comme traîtres par les défenseurs de la raison d’État – voir par exemple les opérations amorcées contre Edward Snowden lors de son séjour à Hong Kong. Dernière doléance : on aurait aimé que l’ouvrage fournisse plus de précisions sur la notion de fuite et ses déclinaisons organisationnelles.

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